Un vieux chien de berger causait avec son fils.
Père, dit celui-ci, d’où vient que notre maître
Prend tant de soin de ses brebis ?
Tous les jours on les mène paître,
Et le soir chaudement on les place au logis.
Toutefois leur troupe bêlante,
Aussi stupide qu’indolente,
N’est bonne à rien, à rien du tout ; et nous
Pendant le jour, pendant la nuit obscure,
Malgré les vents et la froidure,
Nous gardons les troupeaux , nous attaquons les loups.
Et messieurs les bergers, pour toute nourriture,
Quand ils ont fini leur repas ,
Nous donnent quelques os qu’ils ne mangeraient pas.
Tiens, répond don Grognard, vois là-bas, je te prie,
Cette maison. —Eh bien ? — C’est une boucherie,
Où ces chères brebis, composant le troupeau
Que tu crois si digne d’envie,
Vont tombant tour à tour sous Le fatal couteau.
Celui qui croit avoir la fortune contraire ,
S’il connaissait de son voisin
Les tribulations, la peine, et la misère,
Souvent et très souvent rendrait grâce au destin.