Quel est le but des arts ? d'imiter la nature.
Il n'est point de serpent, ni de monstre odieux,
A dit Boileau, que la peinture
N'ait le pouvoir de rendre aimable aux yeux.
Sur nos sens la musique a des effets semblables ;
Et par elle imité, l'accent des animaux,
Même les plus désagréables,
A pour nous des charmes nouveaux.
Je n'en veux pour témoin que certain trait d'histoire,
Qui prouve encore mieux combien l'opinion
Nous aveugle, surtout lorsqu'on s'obstine à croire
Une folle prévention.

Un ancien bateleur (mon ingrate mémoire
Ne sait plus en quel lieu, ni quel temps, mais son nom
Du Lethée, par bonheur, évita l'onde noire,
Et Plutarque, je crois, l'appelle Parmenon)
Ayant le beau talent de pouvoir contrefaire
Le grognement de ces vils animaux,
Qu'on imite souvent, mais d'une autre manière,
Voyait autour de ses tréteaux,
S'empresser la foule ravie
Que sans cesse attirait la curiosité.
Ce succès éclatant à exciter l'envie.
Aussi chaque bouffon bientôt, de son côté,
Après s'être exercé par une longue étude,
Grognait à qui mieux mieux (au point qu'en basse-cour
La ville était changée), espérant à son tour,
Par ce moyen, plaire à la multitude,
Mais il paraît que, dès ce temps,
Comme on le voit aujourd'hui, le caprice
A ses frivoles jugements
Présidait plus que la justice :
Car, quoiqu'on assure qu'au fond,
Plus d'un sut, dans cet art, égaler Parmenon,
Même le surpasser, lui seul eut l'avantage
De recueillir toujours les applaudissements ;
Et, pour prix de leurs soins, les autres, en partage,
N'eurent que des sifflets. Malgré tous leurs talents,
Le peuple s'obstinait à leur faire l'injure
De soutenir qu'ils n'avaient point
Celui d'imiter la nature.
Pour montrer quelle était sou erreur sur ce point,
Un d'eux, un jour avec adresse,
Entre les vastes plis de son large manteau,
Eut soin de cacher un pourceau
Qui, sans être aperçu, grognait, grognait sans cesse,
En l'entendant, les spectateurs,
Telle est la force de l'empire
Qu'a le préjugé sur nos cœurs
Accueillent par des cris, de bruyants éclats de rire,
De Parmenon le prétendu rival,
Et persistent toujours à dire
Qu'il imitait la nature trop mal,
Pour qu'on puisse avec lui le mettre en parallèle.
Mais du manteau qui le recèle,
Laissant au milieu d'eux échapper l'animal,
Notre bouffon leur prouve à l'instant, sans réplique,
Que sur ses passions fonder un jugement,
Soit qu'on approuve, ou qu'on critique,
Expose à prononcer toujours injustement.

Fable 22




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