La Visite imprévue Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

« Quoi ! vierge antique, inviolable,
Disait la Mort, en surprenant
Une dévote vénérable ;
Quoi ! vous me voyez en tremblant ?...
— Votre visite est imprévue,
Dit-elle, à peine ai-je eu quelques heureux moments
— Vous deviez vous attendre enfin à ma venue,
Vous avez quatre-vingt-dix ans.
— Je jouis, je me crois encore à mon printemps ;
Et la vie est si douce ! — Eh ! que de fois, madame,
Le plus mortel ennui vint assiéger votre âme ?
— Je souffrais... — Dans ces tristes jours
Où vous perdîtes votre père,
Et pleurâtes de vos amours
Le tendre objet sexagénaire,
Je vous entendis m'appeler.
— C'était par façon de parler.
— Il me souvient pourtant que, dans le sein de l'onde,
Vous vouliez vous soustraire aux malheurs de ce monde.
— Pour fixer un ingrat qui bravait le pouvair
De mes charmes, je fis paraître avec décence
Le plus innocent désespoir. *
— Bien ! mais, dès votre adolescence,
Vous répétiez pieusement
Que la vie, en tous lieux, est pleine de misère,
Et que dans les eicux, au contraire,
Où chacun doit aller avec empressement,
Tout est plein de ce Dieu dont votre âme est ravie,
Que chacun doit aimer en soi ;
Telle fut toujours votre foi ?
— Oui... mais... qu'est-elle, hélas ! auprès de cette vie !.. »

Livre IV, fable 11




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