Les deux Ours blancs Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Descendant d'une antique race,
Deux ours blancs, superbes et tiers,
Las de ne voir que neige et glace,
Un beau jour passèrent les mers.
Une gazette très-chrétienne,
Véridique surtout (c'était la Quotidienne),
Leur apprit qu'à Saint-Pétersbourg
Un poste était vacant à la ménagerie.
Les voilà partis ; sans détours,
Ils arrivent ensemble à la cour de Russie.
Un gardien de Sa Majesté,
Chargé de surveiller les bêtes,
Les reçoit avec dignité,
Et leur donne d'abord des fêtes.
Ensuite, un rustre vient leur apprendre à danser,
A toute heure les exercer
A faire : arme au bras, portez arme.
Le jeune y trouve certain charme,
Mais l'autre s'y refuse net ;
Il est trop ours, un peu trop grave ;
A son maître il dit, indigné :
« Je ne saurai jamais obéir en esclave ! »
Un beau matin, sans dire mot,
Il fait son paquet, part au trot,
Sans écouter son frère qui lui cric :
« Que veux-tu faire en Sibérie ?
As-tu donc de l'ambition ?
Dans ton cœur amortis la fibre ;
Quelle existence as-tu sur un glaçon ?
— J'y suis. libre !... «

Livre IV, fable 12




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