Voltaire a dit : « Rien n'est si périlleux
Que de quitter le bien pour être mieux. »
Or, une anguille à l'humeur vagabonde,
Et raisonnant, il s'en faut de beaucoup,
Moins juste que Voltaire, un jour prit en dégoût
De son étang la paix profonde,
Et, s'élançant gaillarde à travers les roseaux,
Partit, de son but incertaine,
Pour s'en aller de plaine en plaine
À la conquête d'autres eaux.
A peine on l'aperçoit qui sur l'herbe serpente,
Qu'hommes, femmes, enfants, tout s'enfuit d'épouvante.
Tel que je me connais j'en aurais fait autant ;
Car qui ne l'eût pas pris pour un serpent ?
Bien fière, comme on juge, était mademoiselle,
De voir ainsi tout autour d'elle
Son seul aspect répandre la terreur.
Cependant, revenus un peu de leur frayeur,
A s'approcher sans bruit d'aucuns se hasardèrent,
Et de plus près la regardèrent :
Puis l'on fit encor quelques pas ;
Puis le plus enhardi d'exclamer : « Tiens, la bête
Ades nageoires à la tête !
Des nageoires ! ho ! ho ! le serpent n'en a pas :
C'est là tout bonnement une superbe anguille ! »
Et là-dessus de sa faucille
Notre manant vous la coupa
En maint tronçon qu'il emporta
Pour se régaler en famille.