Dans les champs de l'éther sur son char argenté
La lune répandait sa tremblante clarté.
Les habitants d'un bourg de l'antique Arcadie
De cet astre voyant l'image réfléchie
Dans le sombre crystal de certain lac voisin,
Crurent que sous ses eaux Phébé prenait le bain.
Comme ils la contemplaient d'un œil fixe et stupide
Dans le fond azuré de l'élément liquide,
Vers le bord de l'étang ils virent approcher
Un âne qui venait d'un pas leste étancher
Une soif dévorante.
Mais, ô du sort cruel événement fatal !
Pendant que le pauvre animal
Boit et se désaltère, à la tourbe ignorante
Un épais nuage soustrait
De la sœur du soleil le lumineux aspect.
Lors donc du sein de l'onde
L'orbe lunaire à l'instant disparut ;
Et par un triste effet de son erreur profonde
La sotte populace crut
Que le coursier du bon Silène
En buvant l'avait avalé.
À la déesse il est sur la place immolé.
On l'égorge, on l'éventre : et durant cette scène
Le nuage s'écarte ; et dans l'air et dans l'eau
La lune reproduit sa face circulaire.
En revoyant ce céleste flambeau
L'imbécile vulgaire
S'imaginant l'avoir arraché du tombeau
Saute et danse en poussant d'horribles cris de joie
Que l'écho des forêts redouble et lui renvoie.
Telle est de l'absurde ignorance
L'étonnante témérité,
Qu'au mépris de toute évidence
Elle combat la vérité ;
Et que pour un feint avantage
On la voit même s'applaudir
D'avoir enfin su parvenir
Ase causer un vrai dommage.