Mon cher enfant, ton âge m'autorise
A te parler du papillon,
Mais sans que ta raison pourtant s'en formalise,
Car ceci n'est qu'exemple, et non comparaison.
Quand le zéphyr a fait taire la bise,
Le papillon, qui ne vit qu'un été,
Des grands soins d'ici-bas ne s'embarrasse guère ;
L'affaire de la volupté
Est sa plus importante affaire ;
Il ne veut rien, rien que jouir
Sans raisonner, sans réfléchir ;
Chaque instant le conduit à des amours nouvelles
Qui n'ont jamais de lendemain :
En une heure il a pu charmer toutes les belles
D'un jardin,
Sans en rencontrer de cruelles :
Mais d'un pareil bonheur on peut prévoir la fin.
Un soir que, retiré dans l'ombre et le silence,
Il réparait les fatigues du jour,
Il voit une lueur, et pense
Que c'est le flambeau de l'Amour :
Il se lève aussitôt, bat de l'aile, s'avance,
Tourne, retourne, et passe à chaque fois plus près
D'un objet si plein d'attraits :
Son éclat l'éblouit, sa chaleur le pénètre,
Et, dans l'ivresse du plaisir,
A tout prix il prétend connaître
Ce fantôme brillant qui lui donne la mort.
Mon cher enfant, ceci ressemble fort
Aux douces erreurs du bel âge ;
Plus qu'on ne veut le cœur s'engage :
Quand il n'est plus temps d'y songer,
Ce n'est qu'alors qu'on en voit le danger ;
Mais de toute la raison sait tirer avantage,
Et reçoit même une leçon
D'un papillon.