La Mouche et le Papillon Jean-Louis-Marie Guillemeau (1766 - 1852)

Apercevant une fiole,
Pleine d'un miel délicieux,
Une mouche sitôt y vole,
Pour satisfaire et son goût et ses yeux.
Et d'abord, d'une aile légère,
Elle voltige autour de la liqueur,
De cette liqueur mensongère,
Qui séduit à la fois l'odorat et le cœur.
Puis, bientôt, dans le vase même,
Elle plonge indiscrètement ;
Mais son repas fini, ce fut bien vainement
Qu'elle voulut sortir de ce péril extrême.
Plus elle s'efforçait, et plus un suc gluant,
Couvrait ses pattes et son aile ;
Elle bourdonne, elle crie, elle appelle,
Nul ne répond à son gémissement.
Voyant la mort déjà planer sur elle,
Elle s'écrie ; en regardant le ciel :
Fortune, pour moi si cruelle,
Tu places mon cercueil dans un tombeau de miel !
Mais tandis qu'elle se lamente,
A chaque instant, sentant venir sa fin,
Un papillon, de couleur éclatante,
Lui dit d'un air léger, et même un peu malin :
Toi seule, de ton mal, ma pauvrette, est la cause ;
Pourquoi courir après des mets si délicats ?
Si tu n'eusses jamais courtisé que la rose,
Ceci ne t'arriverait pas.
Mais toujours tu fus par trop prompte
A suivre d'imprudents désirs,
Sans daigner jamais tenir compte
Des maux qui suivent les plaisirs.
Il n'avait pas encor fini son élégie,
Quand cet enfant de l'air, ce léger papillon,
Découvrit, dans un beau salon,
Les feux brillants d'une bougie.
Lors, sans que la raison puisse le diriger,
Sans songer aux conseils qu'il prodiguait naguère,
Il vole promptement vers l'ardente lumière,
Et, tout près de la flamme, il aime à voltiger.
Mais en tournant, tournant sans cesse,
Autour de ce foyer brûlant,
Au milieu tombe l'imprudent,
Et, de bien près, la mort suit sa détresse.
Du fond de sa triste prison,
La mouche, qui vivait encore,
Témoin de l'affreuse leçon
Que reçoit l'élève de Flore,
Se dit : Il eût agi certes plus sagement,
Dans cette horrible circonstance,
S'il eût gardé pour lui la moitié seulement
Des avis qu'il donnait avec tant d'assurance.

Le monde actuel est plein de gens,
Toujours prêts à donner des conseils salutaires,
Et qui, pourtant, aux moindres accidents,
Tombent, fort lourdement, dans des fautes grossières.