Le Bûcheron et le Loup Valéry Derbigny (1780 - 1862)

« De grâce, ouvrez-moi votre porte,
Et cachez-moi dans quelque coin,
Des chasseurs, qui ne sont pas loin,
Je fuis la barbare cohorte ;
Ouvrez vite, dépêchez-vous,
Ou je vais tomber sous leurs coups.
Supplier n'est pas, d'ordinaire,
La façon de parler des loups ;
Mais ne voyez que ma misère,
Et ma fatigue et mon émoi,
Ah ! par pitié, secourez-moi ! »

Le Bûcheron, à qui s'adresse
La prière du malheureux,
Plus perfide que généreux,
Ouvre et lui dit : « Je m'intéresse
Et je compatis à ton sort.
Entre vite, car le temps presse,
Déjà j'entends le bruit du cor. »

Le Loup se hâte, et dans l'étable
S'en va se cacher de son mieux ;
De cet asile charitable,
Bénissant son hôte et les dieux.

« Surtout, dit-il, quand, tout à l'heure,
Les chasseurs viendront s'enquérir
Si j'ai gagné votre demeure,
Gardez-vous de me découvrir.
Ne laissez pas l'accès facile
A ceux qui me feraient périr ;
Et faites respecter l'asile
Que vous consentez à m'ouvrir. »

L'hôle répond : « Je te le jure
Et j'en prends les dieux à témoins !
Mais on frappe... je t'en conjure,
Ne me fais pas l'insigne injure
De te défier de mes soins. »

La troupe des chasseurs arrive ;
Le pauvre Loup, sur le qui-vive,
Craignant quelque embûche surtout,
De son mieux retient son haleine,
Ne bouge pas, respire à peine,
Demeure en garde jusqu'au bout,
Et, dans son inquiète attente,
Moitié couché, moitié debout,
Prête l'oreille, écoute tout,
Et regarde par une fente.

Les chasseurs disent : « Bûcheron,
Devons-nous faire bonne chasse ?
Toi qui sais par où le Loup passe,
A-t-il passé par ce canton ?
Depuis, corbleu ! bientôt une heure
Que les traqueurs l'ont rencontré,
Nous l'aurions sans don le éventré,
Mais il semble que c'est un leurre.
Serait-il pas clans ta demeure ? »

— « Non, dit le traître, que je meure
Si c'est chez moi qu'il est entré;
Non, trois fois non, je le répète ; »
Mais le perfide hoche la tète,
Leur fait signe, et du bout du doigt
Se hâte à leur montrer l'endroit
Où se cache la pauvre bête.

Et les chasseurs à telle fête
De courir, criant : Mort au loup !
Et c'est à qui se précipite,
A qui l'atteindra le plus vite
Et portera le premier coup.

Mais le Loup n'était plus au gite.
Trompeur est trompé quelquefois.
Il avait entendu la voix
Et compris le signe du traître,
Et, n'en pouvant faire à son choix,
S'était sauvé par la fenêtre.
Mais, direz-vous, ce conte-ci
Ne peut pas demeurer sans suite ;
Et qu'advint-il après sa fuite ?
Or, ce qu'il advint, le voici :

A quelque temps de là, le Bûcheron rencontre
Le Loup qu'il avait hébergé ;
« Camarade, dit-il, sans que j'en fasse montre,
Je vous avais, ce semble, assez fort obligé,
Reçu dans ma cabane, accueilli, protégé,
D'un grand péril sauvé peut-être ;
Cet accueil valait bien qu'on dût le reconnaître,
Et lorsque j'allai, vers le soir,
Pour vous rassurer, pour vous voir
Et vous prier d'accepter quelque chose,
Je vis, sans en trouver la cause,
Que de chez moi vous étiez délogé
Sans dire mot, sans tambour, ni trompette ;
Un loup, bien qu'il soit loup, un loup qui prend congé,
N'est pas dispensé d'être honnête. »

— « C'est vrai, dit celui-ci, je confesse le cas ;
Je ne fus point poli, je ne m'en défends pas ;
Mais, seigneur Bûcheron, trêve ici de la ruse :
De vous poinl de reproche, et de moi point d'excuse ;
A ce devoir si j'ai manqué,
C'est qu'en vous j'avais remarqué
Bouche mielleuse et cœur infâme :
Car des deux faces de votre âme
En un instant j'ai vu surgir
Le bien parler, le mal agir. »

Livre I, Fable 15




Commentaires