Les Poissons et le feu d'artifice Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

Sur la rivière à la fin d’un beau jour,
On tirait un feu d’artifice.
C’est en vain que la nuit croit régner à son tour,
Du soleil endormi Vulcain faisait l’office ;
Mille jeux de son art, malgré Phoebus absent,
Firent voir le jour renaissant.
Au bruit soudain, tout le peuple aquatique
S’effraye au fonds de son manoir ;
L’air tonnant, embrasé, trouble la république
Ils n’osaient entendre ni voir.
Malgré cette première transe,
L’onde les rassurait un peu ;
Car, où serait la vraisemblance
Que le monde poisson dût périr par le feu ?
Ils ne sont pas long-tems à le trouver possible.
La vraisemblance arrive ; et mille serpenteaux,
Vrais foudres à leurs yeux, perçant le sein des eaux
Leur portent de la mort la menace terrible.
Ah ! S’écrièrent-ils, le monde va finir.
Chacun déjà songe à sa conscience.
Nous le méritons bien ; le ciel veut nous punir,

Dit un brochet : perfide engeance,
Sans cesse ici nous nous mangeons ;
Moi, mes enfants ; vous, les goujons ;
Et les goujons quelqu’autre espèce.
Malheur aux plus petits : c’est le dîné des gros,
J’en dis ma coulpe, et le remords me presse ;
Nous avons allumé les célestes carreaux.
Retire ta main vengeresse,
Jupiter ; fais-nous grâce, et nous te promettons
De n’être plus inhumains ni gloutons.
Le feu cessa pendant la repentance ;
La peur s’évanouit, et l’appétit revint.
Chacun alors ne se souvint
Que d’aller chercher sa pitance.
Leur vœu d’humanité souffrit bien du déchet.
Le brochet pénitent déjeuna d’un brochet.

Livre V, fable 16






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