Le Berger et les Échos Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

On nous croirait gens à réflexions :
Mais nous disons beaucoup et nous ne pensons guères :
Bien rarement de nos décisions
Sommes-nous les propriétaires.
Nous répétons de bouche ou par écrit,
Ce que d’autres ont dit et souvent après d’autres.
Pure mémoire érigée en esprit ;
Jugements étrangers que nous donnons pour nôtres.
Un seul homme a jugé : bientôt mille jaseurs
Adoptent son avis comme loi souveraine ;
Et ce torrent de rediseurs
Grossit si fort qu’il nous entraîne.
C’est trop s’abandonner à la pluralité,
Race imbécile que nous sommes,
Ce n’est pas là que git la vraie autorité.
Pour garants de la vérité,
Comptons les raisons, non les hommes.
Nommé par son hameau pour décider d’un prix,
Titire en un vallon bordé de mainte roche,
Rêvait seul, méditait un arrêt sans reproche.
Ciel, daigne m’instruire, et me dis
Lequel chante le mieux de Silvandre ou d’Atis,
S’écriait-il. L’écho de proche en proche,
Cent fois répète, Atis. Atis chante le mieux !
Dit le berger surpris. Les échos de redire,
Le mieux, le mieux, le mieux. C’est assez, dit Titire ;
Ce suffrage est victorieux.
Il retourne au hameau. ça, dit-il, je puis rendre
Entre nos deux rivaux un jugement certain.
Atis chante mieux que Silvandre ;
Tout le dit d’une voix dans le vallon prochain.
Nous décidons ainsi, crédules que nous sommes
Que d’échos comptés pour des hommes !

Livre V, fable 15






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