Le Berger et les Brebis L-S du Ruisseau (16?? - 17?)

Dans la saison que l'on tond les Brebis,
Un Berger en ayant peut-être plus de mille,
Occupait à cela tous ceux de sa famille,
Et même quelques-uns de ses meilleurs amis ;
Il n'avait pas sujet de regretter ses peines ;
Car sans le gain qu'il en tirait ,
Ses Brebis en étaient plus saines.
Une d'elles pourtant de cela murmurait.
Quoi, disait-elle, aux plus novices,
Vivrons-nous donc toujours au gré de ses caprices ?
Le lait que nous lui fournissons
Ne peut-il contenter sa cruelle avarice ?
Faut-il pour l'assouvir que de froid l'on périsse,
Ce qui ne peut manquer n'ayant plus nos toisons ?
Hé bien, dit le Berger, ennuyé de sa plainte,
On vous satisfera, Madame la Brebis.
Oui l'on vous laisse vos habits ,
Servez-vous en sans nulle crainte.
Elle eut beaucoup mieux fait de souffrir en repos
Qu'on en eût déchargé son dos ;
Car dès le même été, la chaleur, la vermine,
Lui ravirent son embonpoint ;
Par lambeaux sa toison pensait de son échine,
En un mot, tout son corps en était mal en point.
Mais un jour qu'aux Brebis un Loup donna la chasse,
Arrêtée en courant, aux branches d'un buisson
Par l'épaisseur de sa toison,
Il lui fallut rester dedans la même place.
Hélas, dit- elle alors, en jetant un soupir,
Je reconnais, mais trop tard ma folie ;
Car ce que je croyais nécessaire à ma vie
C'est cela qui me fait périr.

Dans la Brebis l'on voit l'image
De Gens trop attachés aux biens,
Qui ne comprennent pas que ce font des liens
Qui leur feront subir un funeste esclavage.
La morale pourrait s'étendre davantage.

Livre II, fable 2




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