Autrefois deux marchands de nouvelle fabrique,
Seigneur présent et seigneur avenir,
Chez les mortels vinrent ouvrir boutique.
C’est une époque à retenir.
Ils se logent l’un près de l’autre ;
Présent dans un lieu fort étroit,
Avenir en grand air. L’un naïf, l’autre adroit,
Criaient à tous passants : messieurs, voyez du notre.
Présent avait beau dire : arrêtez, halte-là ;
Regardez-moi bien ; me voilà :
Oui je suis le présent ; venez j’ai votre affaire ;
C’est ici qu’est votre vrai bien :
Mon voisin vous appelle. Hélas ! Qu’iriez-vous faire ?
Il promettra beaucoup ; et ne donnera rien.
Avenir près de là, sur un théâtre vaste
Où brillait l’adresse et le faste,
Ici, messieurs, s’écriait-il ;
C’est moi qui de vos jours ai débrouillé le fil ;
Je prédis tout ce qui doit être,
Et plus encor. J’ai de tout ; désirez.
Quel bien voulez-vous voir paraître ;
Vous n’avez qu’à dire, montrez.
Je console d’un mal ; je fais mieux, et d’avance
À sa place je mets un bien,
C’est moi seul qui vends l’espérance ;
Que dis-je ? Je la vends ; je la donne pour rien
Prenez, messieurs, voilà des trésors, de la gloire,
Des plaisirs purs ; jamais les avez-vous goûtés ?
Non : patience, il faut m’en croire ;
Il vous en vient, et des mieux apprêtés.
Mais voulez-vous encor une preuve meilleure.
De mon habileté, de mes droits absolus ?
Présent vous étourdit de ses cris superflus :
Vous l’allez voir disparaître sur l’heure ;
Tenez : vous le voyez ; vous ne le voyez plus.
Prodige ! Il disparut pour tous tant que nous sommes ;
Et le fourbe avenir amusa seul les hommes.