Un jardinier trouvant une rave fort grosse,
Entre les raves vrai colosse,
Dans sa surprise va songer
Qu’il en doit faire hommage au roi de la province.
Tout de ce pas il court offrir au prince
Le phénomène potager.
Sire, pardon de la licence ;
Cette rave, dit-il, est crue en mon jardin ;
Et j’avions de vous voir si grande impatience
Que j’ons pris, comme on dit, l’occasion au crin.
Je savons bien que ce n’est pas grand chose ;
Mais je savons aussi que votre majesté
En revanche a de la bonté :
Si je vous l’offrons, c’est à cause
Qu’elle vous appartient par droit de rareté :
Telle rave, tel roi. Dieu vous doit la santé.
Du bon manant telle fut la harangue.
Le roi prit plaisir à sa langue ;
À son zèle encor plus : il reçut le présent.
Mais c’était peu de l’accueil complaisant ;
La royale magnificence
Prisa la rave cent louis ;
Et le manant, les yeux tout éblouis,
Retourne à son village étaler sa chevance.
Eh quoi ! Dit son seigneur surpris,
Payer cent louis une rave !
Vertubleu, le prince est un brave.

Ma fortune est faite à ce prix.
Il vous monte à l’instant sur un coursier d’Espagne,
Beau, bienfait, et qui sur les vents
Prenait quelquefois les devants :
Comme un rapide trait il franchit la campagne.
On arrive au palais du roi
À qui le seigneur court offrir son palefroi.
Certes le don est superbe, il m’étonne,
Lui dit alors sa majesté :
Mais je me pique un peu de générosité :
Qu’on m’apporte ma rave. On l’apporte ; il la donne.
Tenez, dit-il ; ainsi que le cheval
Dans son genre elle est des plus rares.
Il fit bien de punir le présent déloyal.
Le monde est plein de ces donneurs avares.

Livre V, fable 19






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