L'Horoscope du Lion Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

Les grands sont friands d’horoscope ;
Ils pensent que leur sort est écrit dans les cieux,
Et que rien de nouveau ne s’offre au télescope,
Qu’ils ne s’en trouvent pis ou mieux.
Soleil, étoiles et planètes,
Tout parle d’eux. Petits, n’allons pas nous troubler
Du noir présage des comètes ;
Les princes ont l’orgueil d’en vouloir seuls trembler.
Un lion souverain d’Afrique
Voulut un jour savoir son avenir.
Sa cour ne lui pouvait fournir
Aucun maître en cette rubrique.
De certain astrologue un singe domestique
Promet la chose, et part pour la tenir.
À tout hasard il vole un papier à son maître ;
C’est un horoscope ; il suffit.
Il l’apporte au lion ; on le prend, on le lit.
Que croyez-vous que le lion doive être ?
Esclave, et puis comédien.
L’auriez-vous deviné ? Quoi, traître, oses-tu bien
M’annoncer ce destin, dit le prince au prophète ?
Tu n’es qu’un ignorant. Sire, je le souhaite,
Dit le singe tremblant. Mais toi,
Sais-tu ton sort, reprit le roi ?
Voyons ; dirais-tu bien ce qu’il te reste à vivre ?
La griffe était ouverte, et le singe à genoux.
Sire, dit-il, j’ai lu dans le céleste livre
Que je devais mourir au même instant que vous.
Ce tour adroit répara l’imprudence.
Le lion superstitieux
Ferma la griffe et retint sa vengeance.
L’amour propre fit encor mieux ;
Il baptisa sa crainte de clémence.
Nos actions parfois ont un air de vertus :
Qu’on les creuse ; c’est un vice ou faiblesse, et rien plus.
Que deviendra la prophétie ?
Écoutez. Le lion arrêté dans des rets
Est pris, enchainé, puis après
Apprivoisé. Son maître en veut gagner sa vie.
Ils partent. Avec eux notre singe devin
Part aussi bien instruit des tours de fagotin.
Par les foires on les promène ;
Par tout nos deux acteurs établissent leur scène,
L’un sérieux, l’autre badin ;
C’est Lelio, c’est Arlequin :

Un seul de ces deux en vaut quatre.
Le monde court en foule à ce nouveau théâtre ;
Chacun les voulut voir. Or le jeu du lion
Était de ne le plus paraître,
D’être doux, complaisant et docile à son maître ;
Il jouait la soumission.

De sa queue il lui faisait fête ;
De sa patte le caressait ;
Souffrait que dans sa gueule il enfonçât la tête ;
Le spectateur en frémissait.
Le singe d’autre part fait sur son camarade
Cent jolis tours, mainte gambade ;
Monte à cheval sur lui, le mène à son désir :
Le spectacle à la fois faisait peur et plaisir.
Dom Bertrand applaudi, pour l’être davantage,
S’avise un jour d’un tour de son métier :
Et pour imiter l’homme, osant trop se fier
À la docilité de l’animal sauvage,
Va dans la gueule du lion
Fourrer sa tête. Une telle action
Surprend le lion et l’irrite :
Il redevient féroce, et sans attention
À sa mort autrefois prédite,
Il étrangla Bertrand pour l’indiscrétion.
Mais punissant la faute, il en fit une extrême ;
Du collier de Bertrand il s’étrangla lui-même.

C’est ainsi qu’on vit s’achever
Le destin du lion, prononcé pour un homme ;
Jusqu’au tour dont le singe usa pour se sauver,
Tout s’accomplit, tout se consomme,
Qu’après cela l’on prenne le parti
D’un art aveugle et qui n’a point de guide :
Maître hasard s’est par fois diverti
À le justifier ! Mais quoiqu’il en décide,
L’astrologue a toujours menti.

Livre V, fable 13






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