Il naquit un enfant sans sexe ni demi,
Contraire de l’hermaphrodite.
Beautés, à cela près, et des grâces parmi,
Pronostiquaient en lui le plus rare mérite.
Sur l’étonnante nouveauté
Plus d’un oracle est consulté :
Le cas vaut bien qu’Apollon y réponde.
Il dit donc que l’enfant croîtrait
Sans sexe et tel qu’il vint au monde ;
Mais qu’à vingt ans il choisirait
D’être homme, ou femme, ou rien ; enfin ce qu’il voudrait.
L’enfant croît ; il est grand ; son esprit, sa prudence
Lui font bientôt une foule d’amis.
Tout sexe l’aime ; à tous secrets admis,
Dans son sein pleut la confidence.
Sur tout des tendres cœurs avocat consultant
En juge neutre il les entend ;
Règle au plus juste chaque affaire ;
Conseille, accommode les gens ;
Et sans exiger d’honoraire,
Arbitre entre eux les frais et les dépens.
Pendant son exercice, il ne reçoit que plaintes,
Ne voit dans les cœurs des amans
Que caprices, qu’emportements,
Qu’impatiens transports et dévorantes craintes ;
Les biens seulement en désirs ;
Chagrins réels sous l’ombre des plaisirs.

Le temps qui va son train amena la journée
Où le consultant doit opter.
Il marche en pompe au temple où doit s’exécuter
De l’infaillible dieu la parole donnée.
Les hommes pour leurs intérêts
Le priaient de devenir femme ;
Il en avait déjà tous les attraits :
À quelque bagatelle près
Le ciel l’avait désigné dame.
L’autre sexe de son côté
Le suppliait d’être homme ; pourquoi ? Pour lui plaire ;
Et puis encor, de peur que sa beauté
Ne leur enlevât tout : chacun sait son affaire.
L’anonyme entre au temple, et le peuple à l’entour
Prête au choix qu’il va faire une oreille perplexe.
Dieux, laissez-moi, dit-il, tel que je vins au jour.
L’amitié me suffit. En me donnant un sexe,
Ne m’exposez point à l’amour.
Cette prière fut sage autant qu’imprévue.
Les sexes sont sans doute établis à propos :
Mais en cela la nature eût en vue
Ses intérêts plus que notre repos.

Livre V, fable 12






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