Le Diamant et la Poussière Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Du peuple levantin que j'aime les annales !
Quel précieux trésor de vérités morales !
J'y trouve un Diamant ; prompt à le ramasser,
J'invente un apologue où je vais l'enchâsser :
Trop heureux si dans cette affaire
Le lecteur indulgent fait grâce au lapidaire.

Irzan, l'ambitieux Irzan,
Était le favori d'un roi du Korazan.
Souple et rampant aux pieds du maître,
Comme tout courtisan l'est encore aujourd'hui,
Irzan avec orgueil se voyait après lui
Le premier de l'état, ou du moins croyait l'être :
Car il avait su de la cour
Éloigner son rival, le vertueux Missour.
Le peuple en murmurait ; il plaignait le monarque,
Dupe, mais bon d'ailleurs ; la preuve, la voici :
Ce prince, un jour, veut à Sadi¹
Donner de son estime une éclatante marque.
Sadi vient : c'est Irzan qui d'abord le reçoit.
-On vante, lui dit-il, les vers que tu composes.
Je m'y connais. Hé bien ! de ton Jardin des roses
Il faut me citer quelque endroit,
Mais un trait vif et court.
Volontiers, dit le Sage,
Qui lui cite alors ce passage :
« Un jour, on ne sait trop comment,
« Du front d'une sultane altière
« Tombe dans le fumier un riche Diamant.
« A peine est-il tombé, qu'une vaine Poussière,
« Jouet d'un vent capricieux,
Tourbillonne, et s'élève aux cieux. »
Maintenant, parle, Irzan : toi qui fais l'homme habile,
Et qui pour tes égaux affectes du mépris,
Ce Diamant en a-t-il moins de prix ?
Cette poussière en est-elle moins vile ?

Livre IX, fable 9




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