Deux Chiens vivaient dans le même logis,
Moustache et Folichon, l'un père, l'autre fils.
Chacun avait son ministère.
Moustache, franc lourdaud, ne sachant rien de rien,
Gardait la porte, et s'en acquittait bien ;
Pour les voleurs c'était un vrai cerbère :
Mais comme il grisonnait un peu,
On lui laissait alors garder le coin du feu.
Folichon au contraire allait courant sans cesse,
Toujours souple, toujours dispos :
C'était un chien pétri de gentillesse ;
Tantôt émerveillant la foule des badauds,
En s'élançant d'un pont au milieu de la Seine ;
Tantôt faisant le mort, étendu sur l'arène,
L'oreille basse, les yeux clos ;
Et puis il fallait voir ses sauts !
Sauts pour le roi, sauts pour la reine.
Bref, don Bertrand, premier du nom,
Jadis singe du pape, à ce que dit l'histoire,
Et qui faisait courir tout le monde à la foire,
N'aurait été qu'un gille auprès de Folichon.
A qui de ses talents devait-il la culture ?
Au pétulant Victor, enfant de la maison.
Victor était comblé des dons de la nature,
Mais l'espiègle au jeu seul employait tout son temps,
Bien qu'il eût vu dix fois refleurir le printemps.
Fier des succès de son élève,
Victor veut entreprendre un jour
D'instruire Moustache à son tour.
Mais à quoi l'exercer ? Un moment il y rêve.
-Allons, il sera fantassin. ―
Et debout, contre un mur, il le dresse soudain ;
Ensuite lui mettant un chapeau sur la tête,
Entre les pattes un fusil :
-- Monsieur, attention, dit-il,
Et tenez bien votre arme prête.
De prime abord, docile à la leçon,
L'animal reste ferme, et posé de façon
Qu'il a d'un vétéran l'attitude guerrière.
Mais tout-à-coup ses jambes de derrière
Refusent le service : il tombe lourdement,
En dépit du commandement.
On le relève, il tombe encore ;
Et, relevé vingt fois, il retombe toujours.
- Ô le mauvais soldat ! ô la franche pécore !
Dit l'enfant. Au bâton je vais avoir recours....
Çà, qu'on se remette à l'ouvrage ;
Surtout qu'on m'obéisse, ou bien....
Battez-moi, tuez-moi, répond le pauvre Chien ;
Vous n'obtiendrez pas davantage.
Mais pourquoi me frapper ? vous pouvez faire mieux :
Que mon exemple, hélas ! tourne à votre avantage.
Le seul temps pour s'instruire est celui du jeune âge :
On n'apprend rien quand on est vieux.