Depuis que la planète ronde
Exécute son tour de ronde,
La barque du passeur Caron
Remonte et descend l’Achéron,
Chargée à couler bas. Dans une courte escale
À l’empire des morts, il déleste la cale,
Le pont et l’entre-pont garnis de passagers
Aux poids légers,
(Les âmes ne pesant que les trois quarts d’une once.)
Le transfert opéré, le nautonnier annonce
Qu’il stopera prochainement,
En ce lieu de débarquement,
Avec un autre chargement.
Et refendant la vague, il regagne la rive,
Où le temps, de sa faux active,
Tranche, selon son choix,
Ans de bas peuple et jours de rois.
Le frêt complet à bord, Caron plongeait sa rame
Dans les flots entr’ouverts. — Arrêtez ! crie une âme,
Lancez-moi le grappin ;
J’ai billet de Jupin
Pour naviguer sur l’onde noire.
Caron revient au territoire,
Jette l’ancre et demande au mort
Son passe-port.
L’âme de l’exhiber. Il était bien en règle.
Un paraphe illustrait la signature d’aigle
Du souverain des dieux. — Avez-vous le denier
Acquittant le tribut qu’on doit au marinier ?
Dit-il au passager tremblant à sa parole. —
Entre les dents, là-bas, quelqu’un me mit l’obole ;
Un méchant l’enleva. — J’en suis peiné pour vous,
Lui répondit Caron ; mais gratis, voyez-vous,
Je ne puis vous passer. — Pitié ! sanglota l’âme,
C’est la première fois qu’un créancier réclame
Après, moi son dû monnoyé.
Jusqu’ici j’ai toujours payé
Prêtres, juges, docteurs, notaires,
Avocats et propriétaires…
Caron sans écouter le mort,
Lui déchira son passe-port.
Défunt dénanti du péage
N’effectuera point le passage.
Tout Jupiter a son Caron
Qui taxe le coup d’aviron.