Chez la gent littéraire on était en grand deuil ;
On suivait lentement un lugubre cercueil.
La robe de sapin vêtissait la Critique,
Morte la veille au soir. Sa santé rachitique,
Depuis quelque vingt ans, laissait hélas ! prévoir
Qu’elle allait bientôt dire un dernier au revoir
À ses vieux obligés, ses jeunes connaissances,
Les pionniers des arts, des lettres, des sciences,
Qui tous avaient senti de la dame, en son temps,
L’ongle, le bec, la grifse et les petites dents.
Les anciens la pleuraient. La défunte Critique,
Jadis d’un naturel assez autocratique,
Malmenait durement les maîtres prosateurs,
Ce dont ne se plaignaient les sérieux auteurs,
Car ses traits acérés, remplissant leur office,
N’étaient empoisonnés par l’amère injustice.
Plus tard, elle faiblit. Encens et compliment
Sur ses propres attraits faussaient son jugement.
On la vit tout à coup estimer l’œuvre, en vogue,
Faire cas du succès et se montrer très rogue
Envers le vrai talent du courageux lutteur
Qui se respectait trop pour être son flatteur.
Avec l’âge il advint qu’oubliant ses bésicles,
La dame publia des volumes d’articles
Louangeant à l’excès une troupe d’amis.
Le public la lisait. Comparant ses écrits
Aux ouvrages prônés, il dit sans apologues :
« La Critique se meurt. Elle a bu tant de drogues,
Sous forme de romans, brochures, feuilletons,
Qu’elle a l’esprit troublé, les goûts rien moins que bons. »
Le propos rapporté, la Critique en furie
Appelle à son secours la Camaraderie ;
L’autre l’amadouant, pis encore l’égara,
Si bien que dans ses bras la mourante expira.
Le corps drapé de noir, conduit au cimetière,
Descendu dans la fosse et recouvert de terre :
La Critique n’est plus ! Désormais les lecteurs
Ont seuls droit de juger le talent des auteurs.