La Santé du Voisin Augusta Coupey (1838 - 1913)

N’enviez pas la santé du voisin
Vous ignorez quels maux secrets l’affligent.
Si le dicton n’est grec ni sarrazin,
À l’inventer combien de gens m’obligent.
Quand on se fie aux beaux extérieurs
L’on s’aperçoit qu’ils sont souvent trompeurs.
Tel porte envie au grandissime hercule
A l’air superbe, orgueilleux et vainqueur
Et ne sait pas que l’habit dissimule
Un mal hideux qui lui ferait horreur.
Tel autre admire une femme parée,
Naïvement séduit par sa fraîcheur ;
Dans quelques jours cette femme admirée
Aura d’un mort l’effrayante pâleur.

Écoutez bien la fable qui va suivre
Elle instruira plusieurs des moins appris,
C’est à dessein que j’en grossis mon livre,
Qu’il ne faut pas tenir trop en mépris.

Jupiter eut jadis une rude suée,
Chaque habitant du pôle, à fendre la nuée,
Criait d’un ton amer : je souffre, guéris moi !
Ou je me vengerai de ton ciel et de toi.
Guérir tous les humains n’est pas en ma puissance,
Soupira Jupiter que la menace offense.
Il s’en serait vengé s’il n’eût plaint le courroux
De ces hommes souffrants, prêts à devenir fous.
Les cris poussés plus forts, le dieu perd patience,
Et s’arme de carreaux pour foudroyer l’engeance
Qui trouble son repos.
Frappez maître, frappez ! conseillait Atropos,
Pendant que votre bras détruit les taupinées,
Je trancherai le fil des sombres Destinées.
Minerve intervenant s’empara du ciseau
De la foudre et du chaud carreau
Déjà pointés sur la planète.
Jupiter empêché murmure une épithète
Peu flatteuse pour les jupons
Qui gouvernent les pantalons.

Minerve n’en tint compte et dit au dieu sévère :
Au lieu d’anéantir montrez-vous tendre père
Envers ces affligés. — Je ne puis les guérir. —
Mais vous pouvez du moins leur douleur adoucir. —
Comment ? indiquez-moi la façon de m’y prendre ? —
Annoncez qu’au marché chacun devra se rendre
Avec ses maux dans un panier ;
Là, noble, riche, roturier,
D’échanger leurs tourments visibles, invisibles,
Seront loisibles.
Ceci fut partout publié
Au son des trompettes bruyantes.
Les malheureux partent à pié
Pleins d’espérances rayonnantes.
Arrivés au marché, le panier découvert,
Ils avisent des maux dont ils n’ont pas souffert.
Changer un mal de dent contre une pleurésie,
Un léger clochement contre une hydropisie
Ne les tentèrent point. Le cancéreux plaignait
Le valétudinaire,
L’aveugle gémissait
Sur l’enfant poitrinaire.
L’échange n’eut pas lieu. Chacun garda son lot
Désormais défiant de l’aspect le plus beau.
Que fut-il advenu si la sage Minerve
N’était intervenue avec calme et réserve ?
Nous eussions vu pleurer bien des infortunés
Ayant gagné des maux qu’ils n’avaient soupçonnés.

Livre III, Fable 6




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