Ce Jupiter fameux par ses oracles,
Ses noirs sourcils, sa foudre et ses amours,
Ne faisait pas toujours de grands miracles,
Et cependant on l'adorait toujours.
L'esprit moderne aux Saints est moins commode
Qu'aux Dieux ne fut l'esprit romain et grec :
Le plus grand Saint et le plus à la mode
Verrait bientôt, par semblable méthode,
Son trésor vide et ses autels à sec.
Jupiter donc, un jour que sa puissance
Était sujette à ces moments d'absence,
Touché des maux que notre Humanité
Reproche aux Dieux, et surtout à leur Père,
Fit le projet d'envoyer sur la terre,
Pour les guérir, une Divinité
Qu'il fit exprès, et qu'il nomma Santé.
Son teint fleuri, coloré, mais paisible,
Où sous la neige est voilé l'incarnat,
Annonce encor par son modeste éclat
Aux passions un cœur inaccessible.
Son œil d'azur est doux et non rêveur :
Un air plus calme autour d'elle circule :
La jeune Hébé voit en elle une sœur ;
C'est Hébé même, avant l'hymen d'Hercule.
Tout allait bien jusque-là ; mais les Dieux,
Ayant bienfait, veulent faire encor mieux :
Là comme ici, du mal c'est l'origine.
Jupin craignit de sa Fille divine
Et la jeunesse et la fragilité :
De la garder une autre Déité
Reçut l'emploi ; ce fut la Médecine.
Cette Tutrice était tout l'opposé
De sa Pupille ; et de son corps usé,
De sa lugubre et pédante figure
Si je voulais vous tracer la peinture,
Je ne ferais qu'une caricature,
Genre burlesque, aux Toscans trop aisé,
Et des Français à bon droit méprisé.
À son Mentor la Déesse vermeille
Docilement devait prêter l'oreille,
Comme des lois suivre tous ses avis :
Pour son malheur ils furent trop suivis.
Dame Purgon, de ce nom la première,
Fort gravement ayant considéré
L'éclat, le teint trop brillant à son gré,
De sa joyeuse et fraîche Prisonnière,
Tâtant le pouls, dit d'un air doctoral :
Ma chère enfant, ceci finira mal ;
Trop de couleur, trop de sang, pleurésie,
Et frénésie, et puis apoplexie.
Oui, de ce sang si le trop n'est ôté,
Pauvre Santé, vous mourrez de santé.
Vite au remède : allons, uue lancette,
Et largement dégorgeons ces vaisseaux.
Une palette ! oh ! non, une cuvette,
Ni plus ni moins. A ces mots,
la Pauvrette
Se croit perdue, et tremble jusqu'aux os.
Elle obéit ; Jupiter l'y condamne.
L'acier que pousse une savante main,
Perce du bras le satin diaphane :
Le sang jaillit ; le vase est bientôt plein.
Santé pâlit, et languit, et se pâme.
Cela va mieux, dit l'autre, et dès demain
Nous chanterons ensemble une autre gamme.
Le lendemain, ce furent potions,
Fades juleps, noires décoctions
Qu'il fallut prendre ; et la raison est claire :
Cette blancheur, d'une humeur mortifère
Est le symptôme ; et purger, repurger
Le seul remède en ce pressant danger.
Que gagne-t-on d'être ainsi rebondie ?
Pour rendre un corps svelte, souple et léger,
Il faut toujours un peu de maladie :
Sans maladie, on parvient rarement
À se former un bon tempérament.
Le traitement opérait ; la Malade
L'était vraiment ; le sommeil, l'appétit
Disparaissaient ; sa noire Camarade
Criait : c'est bien, très bien ; je vous l'ai dit,
Vous guérirez. À la jeune Déesse
Revint pourtant cette force traîtresse
Qui cache un piège, et que dans un corps sain
Ne souffre pas un prudent Médecin.
La Surveillante, effrayée et surprise,
Vous la reprend, la rephlebotomise,
De ce sang pur tire un second bassin :
Puis vient le tour des boissons laxatives,
Sucs détergents, drogues apéritives :
Succès complet, car Santé cette fois,
Toujours docile, est réduite aux abois :
De cette fleur la sève est épuisée.
Sur son état enfin tranquillisée,
La Médecine en beaux raisonnements ;
Mêlés de grec, en doctes syllogismes,
In Barbara, tout semés d'aphorismes,
Soutint qu'ainsi languir dans son printemps,
C'est se donner des forces pour longtemps.
Languir d'ailleurs, souffrir et mourir même
Obéissant aux lois d'un bon système,
Vaut cent fois mieux pour la gloire de l'art
Que végéter et vieillir au hasard.
Heureusement, la belle Patiente
Avait du Ciel reçu fort peu d'esprit :
De tous les dons que Jupiter lui fit
C'est le meilleur : œil rond, bouche béante,
Elle écouta, mais très mal entendit
Si doctement ce que l'autre lui dit.
Ce grand honneur d'endurer la souffrance,
Même la mort, le tout pour les beaux yeux
D'un art sinistre et d'un systême creux
Touche si peu sa faible intelligence,
Qu'ayant enfin trompé la vigilance
De sa Geolière, elle échappe et s'enfuit.
Dame Purgon en grondant la poursuit,
Tenant en main rhubarbe, mandragore,
Fine lancette et tout ce qui s'ensuit ;
Et court et gronde, et gronde et court encore.
Depuis ce temps, quand l'une est d'un côté,
L'autre est d'un autre : où vient la Médecine,
La Santé fuit : la Puissance divine,
S'est compromise, et pour l'éternité,
Voulant unir Médecine et Santé.