Un maquignon normand — l’espèce en est connue —
Allait vendre à la foire une jument charnue,
Un poulain de trois mois, plus, un jeune cheval,
Haut campé sur sabot, un superbe animal.
Leurs poils étaient bon teint. (Maquignon a la ruse
De peindre noir le blanc, dès que la couleur s’use
Et tourne au gris pelé). Celui-ci, très loyal,
Avait laissé tels quels poulain, jument, cheval.
Le poulain gambadait aux côtés de sa mère ;
L’autre, vif compagnon, trottinait en arrière.
Une méchante corde enroulée à son cou
Lui tenait lieu de mors, de bride et de licou.
Son maître le marchand, d’humeur assez avare,
Ce qui chez bas-normand n’est pas chose bien rare,
Pensait que le lien était fait à souhait
Pour conduire au marché le coursier qu’il vendait.
Perché sur sa jument de royale encolure,
Il activait du fouet le pas de sa monture.
Le pégase flairant sainfoin, trèfle incarnat,
Eut désir de goûter à ces mets dans le plat.
Il glisse finement une tête hors corde,
Plante là les amis ; puis, sans miséricorde
Il galope par monts, par vaux, par vals, par prés,
Où les horizons verts de fleurs sont diaprés.
Le maquignon poursuit directement sa route.
Que son coursier le suit, il n’a le moindre doute.
On arrive à la foire ; il se retourne… voit
La corde détachée… et devine l’exploit.
De jurer à beaux cris le bas-normand ne chôme.
La foule autour de lui s’ameutait, quand un homme,
L’incident expliqué, résuma le final :
Voyez-vous pas, dit-il, que ce gros jovial
Pour s’épargner la bride a perdu le cheval.
Maquignon souviens-toi, qu’un petit bénéfice,
S’il est mal calculé, coûte un grand sacrifice.