Petit Caillou Augusta Coupey (1838 - 1913)

Petit caillou roulait de sentier en chemin,
Sous le pied du passant, le talon du gamin ;
Pris par l’un pour jouer, par l’autre pour se battre,
Lancé de ci, de là, de haut allant s’abattre,

Et repris de nouveau, repoussé plus avant,
Gambadait, ricochait, sans cesser un instant.
La pierre d’un gros mur, respectable commère
Que tapissaient l’ajonc, la mousse, la bruyère,
Femme sensible s’il en fut,
Vit passer le caillou, lui rendit son salut ;
Et comme il s’arrêtait, fatigué, non loin d’elle,
Se reposer un peu, la bonne âme l’appelle :
— Venez donc vous asseoir à l’ombre de mon mur ;
Vous y serez très bien, l’endroit est calme et sûr.
Le voyageur s’assied. On cause politique,
Des affaires d’État, de la chose publique.
Un mot se dit sur vous, une phrase sur moi,
On daube le voisin, et l’on arrive à soi.
Petit caillou ravi de l’accueil de la pierre,
Avec grâce loua sa fraîcheur printanière :
Elle pouvait avair tout au plus quatorze ans
Et rayonnait la nuit autant que diamants.
(Le sexe féminin aime la flatterie)
La pierre goûta fort cette galanterie.
— Mais vous-même, mon cher, vous êtes bien joli,
Vous sautez, vous courez, leste comme un cabri,
Minauda poliment la doyenne coquette,
Qui du temps des Romains n’était guère jeunette,
Car elle avait déjà, d’après un roc bavard,
Sous leurs prédécesseurs pavé le boulevard.
Le roc tenait le fait de sa grand’mère roche,
À laquelle un granit, cassé par la pioche,
L’avait conté jadis
À Paris.

Mais qu’importe au caillou que madame la pierre
Ait cent ans ou cent jours, qu’elle soit fille ou mère.
L’âge n’enlève rien au beau du compliment,
Jeunes et vieux, hélas ! y croient aveuglement.
Notre flatteur charmé qu’on louât sa prestesse,
Accepta sans façon le brevet de vitesse,
Tout aussi mérité
Que celui de beauté,
Par sa nouvelle connaissance,
Dont le baptême et la naissance
Étaient un souvenir lointain
Plus que perdu dans l’incertain.
On n’en resta pas là. L’on mit la surenchère.
Bientôt ce fut à qui, du caillou, de la pierre,
S’entre-ferait valoir
À grands coups d’encensoir.
L’hirondelle écoutait nos deux sots personnages
Se vanter tour à tour en gens nullement sages,
Et leur dit : Toi, caillou, comment t’es-tu donc pris
Pour arriver au mur en courant le pays ?
Privé d’aile d’oiseau, de pied, même de jambe.
Chacun t’a dû rouler, car tu n’es guère ingambe.
Le caillou reste interloqué,
Démasqué.
— Maintenant, dites-nous, antique vieille pierre,
Depuis combien de temps la bruyère et le lierre
Fardent votre visage, si sec, si parchemin,
Qu’on le voit s’écailler aux ronces du chemin.
Ne rougissez-vous pas de vous montrer si folle,
Si vaniteuse, si frivole,

Et toi, caillou,
Si fou ?
— Rougir ? oh ! non, la belle !
Crièrent-ils à l’hirondelle.

Rarement l’on rougit du plus faux compliment,
Nous le tenons pour vrai, nous le trouvons charmant.

Livre III, Fable 17




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