Au fond d’une obscure prison
Logeait un Rat, d’une grosseur insigne :
L’âge d’abord l’avait rendu grison ,
Puis aussi blanc que la plume du Cygne ,
Ou peut s’en faut. C’était parmi les Rats,
Pour l’âge un vrai Nestor, pour la force un Achille ;
Tant, qu’il glaçait d’effroi le plus hardi des Chats,
Qui, devant lui, demeurait immobile.
Lecteur, peut-être avez vous déjà cru
Qu’un Rat pareil ne pût jamais éclore
Que dans ma tête ; erreur : plus d’un témoin l’a vu ;
Peut-être même est-il vivant encore.
Quoi qu’il en soit, un Chat parisien,
Qui l’avait vu, mais qui ne savait guère
L’art d’élever un fils, disait toujours au sien,
Quand il se mettait en colère :
Coquin , pendard , que fais-tu là ?
Je te fais manger, prends-y garde ,
Par le gros Rat : il nous regarde.
Hum, veux-tu bien?…. encore! holà ,
Gros Rat, venez : bon, le voilà :
Emportez-moi ce Chat qui n’est pas sage,
De ce gros Rat enfin son père, en tous les cas,
L’effraya tant dans son jeune âge,
Que sans cesse depuis, changeant de personnage,
Ce Chat fuyait devant les Rats.
Sans sa nourrice et semblable menace,
Tel qui mourut en lâche, eut pu vivre en héros ;
Mères, songez-y bien, dans déjeunes cerveaux
Tout se grave et rien ne s’efface.