Les deux Statuaires Comte de Soubiras (19è siècle)

« Tu sais combien notre feu père
A ce marbre attachait de prix.
Disait un Sculpteur à son frère ;
Si la mort ne l’avait surpris,
Sa main en eut, mieux que la nôtre,
Fait un chef-d’œuvre. Enfin, à ses ordres soumis,
Puisqu’il nous a légué ce bloc par indivis,
A ton gré tailles-en une face, et moi l’autre. »
Le frère dit amen. Moi je dis : Pauvre bloc !
Et toutefois, c’était ce que Carrare
Des flancs de son superbe roc
Avait vu sortir de plus rare.
Mais nos apprentis Phidias
Sur leur plan, on le voit, ne se concertaient pas.
Il manqua d’unité, ce point si nécessaire.
L’un des Sculpteurs veut de son marbre extraire
Le colosse imposant de Jupiter Stator,
Tel que Rome le vit, sur un nuage d’or,
Rendre ses fils à leur vertu première,
Et leur patrie à son destin prospère.
A cette œuvre étranger, l’autre frère ébauchait
Un Hercule qui se fâchait
De perdre et son temps et ses flèches,
Dans le dernier de ses travaux ;
De son corps mutilé quand réparant les brèches,
L’Hydre le fatiguait de forces toutes fraîches,
Et de poisons toujours nouveaux.
Nos gens à leur tâche vaquèrent
Tant et si bien, du marbre dégrossi
Tant de fragments se détachèrent,
Que bientôt au milieu de ce bloc aminci
Plus ne resta qu’une cloison légère.
Quand le ciseau l’entame, Hercule, et son cher père,
L’un de reins faible encore, et l’autre de jarret,
Manquent d’étoffe, et d’appui, qui pis est.
Réduits, peu s’en faut, en poussière,
Ces gigantesques avortons
Jonchèrent le pavé d’inutiles tronçons.

Leur accord simulé d’un vain espoir les berce :
Toujours ce qu’auront bâti,
Agissant en sens inverse
Gens de contraire parti,
Doit tomber à la renverse.





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