Plusieurs amis dînaient ensemble ;
L'un d'eux manquait au rendez-vous.
11 arrive, et presqu'en courroux,
II leur dit : Messieurs, il me semble
Que je ne suis point en retard,
Et qu'ainsi vous deviez m'attendre.
Comment, non ? dirent la plupart :
Pour dupes voudrais-tu nous prendre ?
Sois-le de ton retardement.
Pour preuve alors tirant sa montre,
II la fait voir, et leur démontre
Qu'il est deux heures justement.
Sois sûr que ta montre est malade,
Répondirent tous les témoins,
D'une heure elle retarde au moins.
II le savait, le camarade ;
Mais il voulait avoir raison,
Et trouvait tout argument bon.
(Pour soutenir maint beau système
Plus d'un savant fait tout de même.)
Afin de lui prouver son fort,
Un chacun sa montre consulte ;
Mais il n'en est point deux d'accord.
Entr'eux s'élève grand tumulte.
Si l'on veut croire celui-ci,
Il est deux heures et demi ;
Celui-là dit : je vous assure
Qu'il n'est tout au plus que le quart.
Taisez-vous donc ; il est plus tard,
Ajoute un autre : je vous jure
Qu'il est trois heures largement
Pour chacun sa montre est un texta
Qui n'admettait point de prétexte.
On disputait ; heureusement
Que dans le balcon de la salle
Était un merveilleux cadran.
Pour sortir donc de ce dédale,
Le maître se lève, et l'ouvrant :
Voyez, messieurs, leur dit-il, l'heure.
Tout ébahi chacun demeure,
Lorsque, détournant ses regards,
II voit qu'il était les trois-quarts ;
Tous deux s'étaient trompés sans doute.
Alors le susdit maître ajoute :
Si, citer des autorités
Rendait une chose notoire,
Ce serait bien la mer à boire,
Car il en est de tous côtés.
Mais, messieurs, soit dit sans rancune,
Les autorités n'y font rien,
Et leur nombre le prouve bien
Puisque la vérité n'est qu'une.