Le vieux Rat et son fils Édouard Granger (19ème siècle)

Un rat goutteux, perclus par la caducité,
De plus frappé de cécité,
Avait pour tout soutien un fils, qu'un pieux zèle
Portait à donner chaque jour
Au pauvre vétéran mille marques d'amour.
Aussi tous les vieux rats le citaient pour modèle.
Il sortait le matin, mais c'était pour vaquer
Au soin de marauder le diner do son père ;
Et les meilleurs morceaux étaient, pour l'ordinaire,
Ceux que ce tendre fils lui donnait à croquer.
Puis le soir doucement le guidant pur l'oreille,
Il le tirait du gîte et dirigeait ses pas

A travers le grenier. Vraimant, c'était merveille
De voir comme Ratin, quand arrivaient dos chats,
Faisait rentrer son père au fond do sa cachotte,
En restant le dernier pour couvrir sa retraite,
Au risque do trouver lui-même le trépas.
Un jeune rat du voisinage
Lui dit un jour : « Pauvre Ratin,
Pourquoi no pas jouir dos plaisirs do ton âge?
Quoi ! toujours retiré près d'un vieillard chagrin,
Est-ce là vivre ? Non Allons donc ! beau cousin,
Écarte les ennuis, choisis une maîtresse,
Viens festoyer et courir avec nous.
Les jeux, les ris sont faits pour la jeunesse ;
C'est la glace des ans qui donne la sagesse ;
En attendant, faisons les fous »
— Ami, quo le Ciel te pardonne
Ce discours insensé! Tu veux que j'abandonne
Un vieillard dont je suis le guide et le soutien?
Le délaisser! qui, moi, son enfant, son soûl bien !
Mais ne prévois-tu pas ses cruelles alarmes,
Son désespoir, sa navrante douleur !...
Ah! je le sens, chacune de ses larmes
Comme un remords brûlant tomberait sur mon cœur.
Mon père vers lo bien fut mon guide fidèle ;
Envers mon bon aïeul rien n'égalait son zèle,
Alors qu'il l'ontourait des soins les plus toucljnnis;
Or, je fais aujourd'hui ce qu'il faisait naguère :
Ces tendres soins, je les lui rends. »

Quand viendra la vieillesse, attends de tes enfants
Ce que toi-même auras fait jadis pour ton père.

Livre I, fable 3




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