Un vieux renard eut l'audace, en plein jour,
De pénétrer dans une basse-cour.
C'était sur le midi, les gens étaient à table,
Et les chiens auprès d'eux. Une peur effroyable
Saisit, à son aspect, poules, coqs et dindons ;
Chacun fuit sur le toit, la porte ou la fenêtre :
« Cet inconnu, que dans nos environs
Jamais, avant ce jour, nous n'avons vu paraître,
D'où vient-il ? et qui peut-il être ? »
Dit le peuple gloussant, d'abord épouvanté.
Notre matois prit un air affecté
De douceur et de modestie,
Et de la sorte, à peu près, s'exprima :
« Voué, dès ma jeunesse, à la philosophie,
Je suis un étranger, disciple de Brama.
Vous connaissez les Bramines, je pense ?
Je vous rappelerai seulement, en deux mots,
Que de manger les animaux
La sagesse de vos chapons
Jusqu'en Orient est connue ;
Leur réputation dans l'Inde est parvenue,
Et j'ai voulu par moi-même en juger ;
C'est le motif de ma venue. »
Les paroles de l'étranger
Font sur son auditoire un effet favorable :
« Pourquoi nous effrayer ? disent- ils ; quel danger
Un philosophe véritable ? »
Et, rassurés d'ailleurs par sa religion,
De l'accueillir on prend la résolution,
Qu'à l'instant même on exécute.
Il en étrangla dix, en moins d'une minute ;
Et le reste, à grand' peine, en lieu sûr parvenu,
Disait : « De ce malheur notre imprudence est cause ;
A tous les périls on s'expose,
En se liant trop vite avec un inconnu. »

Livre II, fable 5




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