Le Melon et le Jardinier Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

Un beau melon, charnu, rebondi, délicat,
Vrai cantaloup, flattait la vue et l'odorat ;
Rien qu'en le regardant, l'eau venait à la bouche.
Aussi, trop fier de cet éclat :
« - Dois-je éternellement rester sur cette couche ? »
Et sur la paille, où je suis né,
Suis-je donc, » disait- il, « à mourir condamné?
Cet ignoble fumier, qui sans cesse me touche,
Et lequel, j'en rougis, se dit mon protecteur,
Étoufse mon parfum sous sa mauvaise odeur.
Pourtant, par ma beauté, j'étais digne, je pense,
D'une plus brillante existence,
Et pourrais figurer, soit dit sans vanité,
En meilleure société. »
Travaillant près de là, selon son habitude,
Le jardinier ouït ces mots :
- Peux-tu bien, » lui dit-il, « tenir de tels propos ?
Le Ciel te punira de ton ingratitude.
Cette famille des melons
Est véritablement une mauvaise souche,
Comme dit le proverbe : il en est peu de bons.
Tu ne peux oublier pourtant que cette couche,
Qui te nourrit encore tous les jours,
Te reçut dans son sein, réchaufsa ton enfance,
Et que de ta frêle existence
Seule elle a prolongé le cours.
Ainsi donc, dans ton injustice,
Tu méprises, ingrat, ta mère et ta nourrice.
Tu veux t'en séparer ? Oui, tu la quitteras,
Dès ce jour, et bientôt tu t'en repentiras. »
Il disait vrai ; cette journée
De notre ambitieux changea la destinée,
Et, de la couche enlevé doucement,
D'un souper, le soir même, il faisait l'ornement,
Parmi les fruits, les fleurs, les cristaux et les belles.
Quelles sensations nouvelles !
Quel doux transport et quel enivrement
Il éprouvait en ce moment !
« - Enfin, se disait-il, « je suis donc à ma place,
Je jouis, grâce aux Dieux, d'un sort digne de moi,
Et de ce rustre la menace
A tort m'a causé quelqu'effroi.
Ce noble orgueil qui m'anime et m'embrase,
Le Ciel même a pris soin de le justifier... »
Il ne put achever sa phrase.
Un convive le prend, et, de son prisonnier
Exaltant la beauté, le caresse, le flaire,
Puis, usant tout à coup d'un traitement contraire,
Lui plonge dans le sein un homicide acier.

Enfants ingrats, des Dieux redoutez la colère ;
On doit s'attendre aux malheurs les plus grands
Quand on méprise ses parents
Et qu'on abandonne sa mère.

Livre II, fable 6




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