Le Melon et l'Artichaut Pierre-René Le Monnier (1731 - 1796)

De Flore le volage amant,
Par son agréable murmure ,
Avait réveillé la nature ;
Et la nature, en s’éveillant,
Répondait par un doux sourire
Aux empressements de Zéphire.
De Phébus les rayons dorés
Semblaient rendre la vie au monde ;
Par sa chaleur douce et féconde,
Il avait émaillé les prés.
L’humble et timide violette
Embaumait déjà les vergers ;
Déjà les amoureux bergers
De leur tendre bergère en paraient la houlette.
Sur des gazons fleuris on voyait les agneaux
Jouer, sauter, bondir, courir à la mamelle
De la brebis qui les appelle.
L’hirondelle effleurait la surface des eaux;
L’abeille, sur les fleurs qui ne font que d’éclore,
Pillait en bourdonnant les trésors parfumés
Que de ses pleurs la tendre Aurore
Dans leur calice avait formés.
Philomèle, par son ramage, …
Mais pourquoi tant de verbiage ?
Disons plutôt tout bonnement :
On était au commencement
Du mois de mai : l’hiver avait plié bagage ;
La douce chaleur du printemps
Réjouissait bêtes et gens,
Et moi tout comme un autre.
J’étais dans un jardin,
Qu’avec tout le talent du célèbre le Nautre,
Un de mes bons amis a planté de sa main.
Quand j’eus bien admiré les bosquets, le parterre,
Je voulus voir le potager.
Un potager plaît d’ordinaire
Quand on aime à manger
J’allais rêvant à quelque chose,
Ou bien
A riens
Mais, craignant de mentir, je n’ose
Dire lequel. Un point que j’affirme sans peur,
C’est que je ne n’attendais guère
Que j’allais me trouver témoin auriculaire
D’une querelle sur l’honneur
Entre deux jeunes plantes.
La vanité, le croirait-on?
Les rendait éloquentes,
Eloquentes à leur façon.
Tais-toi , s’écriait le melon,
Tais-toi, vil artichaut, boursouflé d’insolence,
Je te trouve hardi, visage, de chardon,
De prétendre avec moi faire comparaison :
Parle pour m’honorer, ou garde le silence.
(Il faut, selon toute apparence .
Que la querelle eût commencé
Avant mon arrivée) .Hélas! pauvre insensé,
Juge de ton néant et de mon excellence,
Par le mépris qu’on a pour moi.
Et les soins assidus qu’on prend autour de moi.
Au moindre petit froid, on réchauffe ma couche;
Sur mon habit de verre on étend un manteau ;
Si le tems s’adoucit, on ouvre mon berceau.
Suis-je trop échauffé ? pour me donner la douche.
Aux rayons du soleil on fait tiédir mon eau.
Notre maître commun tendrement me regarde;
Je suis l’objet de son amour :
Tu sécherais sur pied, qu’il n’y prendrait pas, garde;
Et si tu vois encor le jour,
Tu le dois à ma sauvegarde.
Si la servante Madelon,
Qui vient en simple cotillon
Sarcler ici la mauvaise herbe,
Avait droit d’approcher de mon heureux séjour,
Mon beau voisin, qui fais aujourd’hui le superbe,
Demain tu chaufferais le four “.
Enfin l’artichaut eut son tour,
Et dit d’un ton plus doux : “Ton excès d’arrogance
Vient d’un défaut d’expérience;
Je veux bien te le pardonner ,
Mais pour t’instruire un peu tache de raisonner.
Les soins qu’on prend pour toi me seraient inutiles ;
Je saurai bien donner un bon fruit sans cela;
Tu crois qu’on me néglige et tu juges par-là
Que le maître me compte au rang des plantes,
Pauvre ignorant ! ne vois-tu pas ?…
Peut-être que tu donneras
Un fruit qui sera bon peut-être.
Sur ces peut-être hasardeux,
Tu vois chaque jour notre maître
A te cultiver fort soigneux ;
Et de-là tu prétends conclure
Que pour toi seul il a des yeux!
Apprends, fragile créature,
Le sort qui nous attend tous deux,
Et juge si tu dois ainsi me faire injure.
Quand nous aurons donné nos fruits dans leur saison,
Le tien fût-il exquis, de ta belle maison
Tu seras arraché ; par dessus la muraille,
Dans la rue on te jettera,
Tandis qu’un bon surtout de paille
De l’hiver me garantira.
Ne sois donc plus si fier de la vaine tendresse
D’un maître qui nous traitera,
Moi comme un bon ami, toi comme une maîtresse”.

Fable 8




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