Le Gondolier et le Senateur Pierre-René Le Monnier (1731 - 1796)

Le Gondolier et le Sénateur
Un gros gondolier de Venise
Voiturait dans sa barque un grave sénateur,
Le saluait tout bas, et d’une voix soumise
Répondait, bravo, Monseigneur,
Même quand Monseigneur disait une sottise.
Après plus d’une course, ils vont dans une église
Entendre le salut. Le souple gondolier
Devant Monseigneur passe vite,
S’en va l’attendre au bénitier,
Lui présente à genoux humblement l’eau-bénite ;
Puis se relève et fait sa prière, debout.
On entend le salut, on l’entend jusqu’au bout ;
Puis on part, on s’embarque, à l’hôtel on arrive ;
Révérences encor, révérences toujours :
” Monseigneur veut-il qu’on le suive ?
” Qu’on lui donne le bras pour traverser les cours ? —
” Prend ton argent et pars. —Le bon seigneur ! » — Écoute :
Je te trouve poli ; mais, garçon, je me doute
Que tu n’es pas beaucoup dévot.
Tu me saluais jusqu’à terre,
Et devant le Dieu du tonnerre
Tu restais tout debout. Sais-tu bien, maître sot,
Que je lui dois moi-même obéissance, hommage ? –
Sais – tu qu’un sénateur de lui n’est que l’image —
Oui, Seigneur, je pourrais le saluer tout bas,
Mais je sais que de lui l’on ne se moque pas.

Fable 7


Où l'on apprend l'usage du mot "voiturer".

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