La Foire de Briquebec Pierre-René Le Monnier (1731 - 1796)

Le bourg de Briqubec est un assez long gros bourg
Peu distant de Vallogne, un peu plus de Cherbourg.
Dans ce bourg, tous les ans à la fête sainte Anne,
Il se tient une foire, où filles et garçons,
Le bouquet au côté, viennent des environs
Se louer pour un an. On y voit sur son âne
Arriver le former, les nobles à cheval
Et les curés aussi. Chacun vient le moins mal
Qu'il peut. Tous ont dessein de faire bonne emplette,
L'un d'un maître valet, l'autre d'une fillette.
Il s'y rencontre encore et ce n'est pas tant mieux,
Nombre de freluquets faisant les petits-maîtres
Comme on l'est au pays ; en frac, en fines guêtres
De coutil blanc ; leur canne est un bâton noueux.
Boire, mentir, jurer, lorgner toutes les filles,
Baiser en ricanant celles qui sont gentilles ;
Si l'oncle ou le cousin en semblent mécontents,
Les assommer : voilà les plus doux passetemps
De ces petits messieurs. Avec de telles gens
Un homme un peu sensé jamais ne se faufile.
Aussi je leur tournai le dos,
Et je trouvai plus à propos
D'aller me fourer dans la file
Des curés et des bons fermiers.
Ils vont de rang en rang pour chercher leur affaire :
Combien le bouquet ? - Tant. - Vous me paraissez chère. -
Je fais traire une vache, épandre les fumiers,
Bêcher, faner, gerber et tout le gros ouvrage
D'une ferme. - Quel âge ? -
J'aurais, viennent les Rois,
Vingt and, pas davantage.
(D'autres disaient dix-huit, ou vingt-deux, ou vingt-trois,
Plus ou moins, c'est selon). Êtes-vous fille sage ? -
Demandez à ma tante. - Elle ? C'est un démon ;
Malheur à tout pauvre garçon
Qui pour la chiffonner s'approche ;
Il est plus sûr d'une taloche
Que d'un baiser. - C'est bon. Voyons les mains.
- Tenez,
Voyez, tâtez, examinez.
On les tâte, on les examine.