La Brebis et le Cerf Pierre-René Le Monnier (1731 - 1796)

Puisque vous venez à l’ouvrage
Lorsque les bleds font moissonnés,
Pauvres fabulistes, glanez,
Glanez, c’est là votre partage.
Encor, gardez-vous bien de crier, quel dommage !
Le lecteur répondrait, en vous riant au nez :
La Fontaine a tout pris ; il eut droit de tout prendre,
Et fut sage de se hâter ;
Car s’il eût voulu vous attendre,
Vous auriez bien pu tout gâter.
Les épis qu’oublia sa tranchante faucille
Sont à vous ,le public là-dessus vous dit,
Puisqu’on nous le permet, pillons.
De Phèdre en fuyant les sillons
J’y trouve une fable concise
Que Messire Jean n’a pas prise.
Muse, hâtons-nous, prenons-la.
Vatelet, Nivernois pourraient passer par-là,
En vers nobles et doux ils l’auraient bientôt mise ;
Y toucher après eux ferait folle entreprise.

En voyant agir des fourmis,
Un beau jour certaine brebis
Forma le projet dans sa tête
D’avoir un magasin. Bientôt elle est en quête ;
Elle trotte, va, vient, ramasse des épis,
Les entasse dans son logis,
Puis les bat, les vanne, et les crible;
Crible, van, et fléaux sont ses pieds et ses dents ;
Une brebis n’a pas de meilleurs instruments.
Enfin en peu de jours, dans son manoir paisible,
La demoiselle voit un fort joli monteau
De froment pur, bien net et beau.
Voilà dit-elle, ma parure
Pour le tems ou l’hiver
De ses frimas aura couvert
Les champs, les prés, les bois, et brûlé la verdure.
Vers la fin de l’automne, à sa porte un vieux cerf
Vient frapper et lui dit : ouvrez, je vous conjure.
La brebis de répondre, et pour quoi faire ouvrir ?
Ouvrez, voisine, ouvrez, de faim je vais mourir ”
Si l’on ne me donne assistance.
Prêtez-moi de vos bleds. — Je n’ai que ma pitance,
Et l’hiver n’est pas loin. — Au plus tard dans un mois
Je vous rendrai le double. Et du gland de mes bois
Par dessus le marché. — Mais si par aventure
Vous ne me rendiez rien.— Ah, c’est me faire injure.
Mais puisque vous doutez, j’ai pour ma caution
Le loup, seigneur de ce canton.
Par le trou de votre serrure
Regardez mon billet avec sa signature.
Bel emprunteur , qui pour garant
M’offrez un voleur, un brigand,
De moi rien n’aurez, je vous jure;
Vous avez le pied leste et lui la dent trop dure.
Je ne prête point à des gens
A qui l’on n’oserait envoyer les sergents.

Fable 1




Commentaires