La Brebis et le Cerf Guillaume-Antoine Lemonnier (1721 - 1797)

Puisque vous venez à l'ouvrage
Lorsque les blés sont moissonnées,
Pauvres fabulistes, glanez,
Glanez, c'est là votre partage.
Encor, gardez-vous bien de crier, Quel dommage !
Le lecteur répondrait, en vous riant au nez :
« La Fontaine a tout pris ; il eut droit de tout prendre,
Et fut sage de se hâter ;
Car s'il eut voulu vous attendre,
Vous auriez bien pu tout gâter.
Les épis qu'oublia sa tranchante faucille
Sont à vous ; le public là-dessus vous dit, pille,
Puisqu'on nous le permet, pillons.

De Phèdre en suivent les sillons
J'y trouve une fable concise
Que Messire Jean n'a pas prise.
Muse, hâtons-nous, prenons-la.
Vatelet, Nivernais pourraient passer par là,
En vers nobles et doux ils l'auraient bientôt mise ;
Y toucher après eux serait folle entreprise.

En voyant agir des fourmis,
Un beau jour certaine brebis
Forma le projet dans sa tête
D'avoir un magasin. Bientôt elle est en quête ;
Elle trotte, va, vient, ramasse des épis,
Les entasse dans son logis,
Puis les bat, les vanne et les crible ;
Crible, van et fléaux sons ses pieds et ses dents ;
Une brebis n'a pas de meilleurs instruments.
Enfin en peu de jours, dans son manoir paisible,
La demoiselle voit un fort joli morceau
De froment pur, bien net et beau.
« Voilà, dit-elle, ma parure
Pour le temps où l'hiver
De ses frimas aura couvert
Les champs, les prés, les bois et brûlé la verdure

Vers la fin de l'automne, à sa porte un vieux cerf
Vient frapper et lui dit : ouvrez, je vous conjure.
La brebis de répondre et pour quoi faire ouvrir ? -
« Ouvrez, voisine, ouvrez, de faim je vais mourir
Si l'on ne me donne assistance.
Prêtez-moi de vos blés. - Je n'ai que ma pitance,
Et l'hiver n'est pas loin. - Au plus tard dans un mois
Je vous rendrai le double et du gland de mes bois
Par dessus le marché. - Mais si par aventure
Vous ne me rendiez rien. - Ah, c'est me faire injure.
Mais puisque vous doutez, j'ai pour ma caution
Le loup, seigneur de ce canton.
Par le trou de votre serrure
Regardez mon billet avec sa signature. -
Bel emprunteur, qui pour garant
M'offrez un voleur, un brigand,
De moi rien n'aurez, je vous le jure ;
Vous avez le pied leste et lui la dent trop dure.
Je ne prête point à des gens
À qui l'on n'oserait envoyer les sergents.

Fable 1




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