La Génisse, la Chèvre et la Brebis, en société avec le Lion Charles Beaulieu (19ème)

Un lion déjà vieux , mais expert en affaire,
Par plus jeunes que lui, voulant se faire aider,
Résolut de s'associer
Avec gens qu'il pût bien commander. Pour ce faire,
La génisse , la chèvre , ainsi que la brebis,
Eurent les qualités, et le savoir requis.
Chacun des contractants promit donc qu'avec zèle,
Du bien commun il prendrait l'intérêt ;
Autant qu'il le pourrait,
Serait toujours fidèle
A ses engagements. Leur commerce en entier,
Devant rouler sur le gibier,
Entre chacun par égale partie,
Il fut donc stipulé : qu'à tout événement,
La perte serait répartie,
Et le gain , le cas échéant.
Or, il advint un jour que la chèvre en grimpant
Sur la cime d'un roc, vit au loin, dans la plaine,
Un cerf qui s'enfuyait vers la forêt prochaine.
Elle s'empresse d'avertir
Ses associés d'accourir
Au passage du cerf. Le lion à leur tête,
Ils marchent hardiment tout droit à la conquête
Du fugitif, que des chasseurs
Poursuivaient, escortés d'une meute en furie ;
Le cerf, en répandant des pleurs ,
Supplia le lion de lui sauver la vie ;
Mais loin de l'écouter , de dédain souriant ,
Le lion étrangla le pauvre suppliant.
Déjà l'on partageait le gain de la victoire ;
Mais voici bien une autre histoire ,
Un autre genre de combats,
Auxquels ne s'attendaient pas
Tous nos héros de contrebande,
Des chasseurs, des chevaux, des chiens toute la bande
Paraît en cet instant ; surpris, épouvanté,
Le trio du lion s'enfuit , et se débande ;
Le lion rappelant sa force et sa fierté,
Hardiment veut braver l'orage ;
Il résiste, on l'accable, et dans son sang il nage ;
Enfin sous le plomb meurtrier,
Et tout auprès de son gibie,
Le lion succombe avec rage,
En se plaignant que tout seul, lui,
Il payât pour sa part, et pour la part d'autrui.
Un valet lui répond, en lui cassant l'échine :
Des gibiers tels que tes lâches amis,
On en trouve partout pour garnir la cuisine.
Les lions sont de plus haut prix.

Hélas ! il faut qu'il en coûte,
En ce cas à quelque dos,
Toujours dans une déroute,
On se venge sur les gros.

Livre I, fable 6




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