Un lion empereur d'une riche contrée,
Puissant par ses vassaux , puissant par ses soldats,
Voulut de ses vastes états
Réformer les abus, réduire la curée,
Qui par maints péculats , et par mille méfaits,
Chez les deux tiers de ses sujets,
Était le fruit du vol, ou de la tyrannie.
Pour atteindre ce but, dans chaque seigneurie,
Fut fait savoir par ses exprès :
Qu'en son palais qu'aucuns nomment tanière,
Le prince tiendrait cour plénière,
Pour trouver un remède au mal,
Avant qu'il devint général,
S'il se pouvait, et vu l'urgence,
Le plus tôt suivant l'ordonnance.
De tous côtés,
On nomma donc des députés,
Pour plaider l'intérêt de la chose publique :
Ce qui s'appelle en bonne politique ,
Chez les habiles gens , un excellent moyen,
Pour, sans nuire aux devoirs de tout bon citoyen,
Couvrir ses intérêts des intérêts des autres,
Faire marcher les leurs après les nôtres,
Suffit.
Or, je ne sais comment cela se fit,
Dans cette affaire générale ;
Soit hasard, intrigue , ou cabale,
Les plus nombreux de toutes parts,
Furent les loups et les renards,
Force singes de toute espèce ;
Force tigres et léopards ;
Quelques gros mâtins , par adresse,
Vinrent à bout pourtant de se faire nommer,
Mais il n'en put passer,
Dit-on, pas deux demi-douzaines,
De ceux qu'auraient voulu les peuples moutonniers ;
Tandis que les premiers
Se comptaient par centaines.
Ce que voyant, notre empereur lion,
Leur dit : Messieurs, le choix qu'a fait la nation
Me dit assez ce qu'il me reste à faire,
Pour mener à bout cette affaire ;
Et mes peuples seront bien mieux représentés
Par moi tout seul que par des députés ;
Puisque les intérêts de vous seuls , sont la chose
Qui vous ait donné gain de cause ;
Ainsi je n'ai que faire ici , je vous le dis,
De vos discours, de vos avis.
Ce lion qui savait par cœur sa politique,
N'ignorait pas, dit la chronique,
Que tout mortel nait besacier,
Et le député le premier ;
Que dans la poche de derrière,
Il met les intérêts d'autrui,
Et que ses intérêts à lui,
Occupent du devant, la poche tout entière.