Le Loup et l'Agneau Charles Beaulieu (19ème)

Quiconque, pour autrui se montre impitoyable,
A son tour trouve aussi tout le monde intraitable.

Un certain loup des plus méchants,
Un jour l'apprit à ses dépens ;
Voici le fait : Ce loup passant près d'un village,
Dans un ruisseau fangeux qu'avait grossi l'orage,
Faute de mieux, et par la soif pressé,
Pour y laper s'était déjà baissé ;
Quand tout-à-coup, loin des yeux de sa mère :
En sautant,
Et gambadant,
Paraît un jeune agneau. Vil téméraire !
Dit le loup en grinçant les dents,
Oses-tu bien en ma présence,
Paraître gai, tandis que moi, dans ma puissance,
Je ne puis obtenir pour mes besoins pressants,
Qu'une eau corrompue et boueuse.
Tu seras châtié de ta gaîté moqueuse.

Mon bon monsieur, dit en tremblant
Le pauvre agneau, je vous prîrai de croire,
Que bien certainement,
Je ne suis point venu pour vous regarder boire.
Ah ! tu n'es pas venu... Tu ments effrontément ;
La preuve, c'est qu'hier, en faisant ma tournée,
Vers le milieu de la journée,
J'aperçus ton berger lavant dans ce ruisseau,
Son troupeau ;
Et tu venais voir la grimace
Que je ferais. Ah ! Monseigneur, de grace,.
Pouvez-vous penser... Oui, mais je veux m'en venger.
Mais, au moment qu'il va pour le manger,
Du pauvre agneau, voici que le chien passe,
Il tombe sur le loup, qui forcé de lâcher
Et promptement, une si bonne prise,
Veut tout épouvanté d'une telle surprise,.
En prenant un ton patelin,
Un air humble, chercher en vain,
A le fléchir, en jurant sur sa vie,
Qu'il n'était venu là que par philantropie ;
Que l'agneau non mangé le prouvait clairement :
Et non point par gloutonnerie ;
En un mot, que c'était pour protéger l'agneau.
- Le prétexte est par trop nouveau,
A d'autres, dit le chien, on connaît ta manière
De protéger les gens,
Surtout quelqu'un de la gent moutonnière :
Et pour conclusion de tous raisonnements,
Il étrangla l'infâme bête,

Puisse ainsi de tous les méchants,
Être écouté le dire, ou la requête.

Livre I, fable 10




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