De tous nos vices sociaux, Voire de ceux des animaux, Le plus affreux est l'égoïsme, Et pour toute vertu qui mène à l'héroïsme, Je crois que la première est l'amour du devoir ; Essayons de le faire voir : Pataud, chien de boucher, ardent , plein de courage, Entrait dans son second printemps ; De tout dogue, c'est le bel âge, Surtout pour la voix et les dents. On vantait les vertus qu'il tenait de sa mère, Et son humeur égale, et son bon caractère, Et sa fidélité, non moins que ses talents. Comme tout chien de boucherie, Il était gras et frais, d'une taille arrondie ; Son regard était imposant. Enfin , c'était un dogue aussi beau que puissant, Qui , pour sauver son maître aurait donné sa vie. Aussi c'était plaisir à voir maître pataud, Vous menant bon train un troupeau ; Nul ne bronchait : Tel, un jour de bataille, On voit, les rangs serrés , au pas , sans dire mot, Marcher, soldats et chefs affrontant la mitraille. Un jour pourtant qu'un jeune agneau Du troupeau qu'il conduit , échappé par mégarde, De celui qui le garde, S'enfuyait à travers les champs, Pataud mis en éveil par les cris déchirants De la mère brebis, s'élance, le rattrape, Et le happe Sans lui faire aucun mal : Il a bientôt rendu l'imprudent animal, A sa mère éplorée : un instant fit l'affaire. De loin , un certain loup , et qui l'avait vu faire, Sans oser s'opposer à ses soins diligents, Disait entre ses dents : L'imbécile ! Tenir un si bon mets , et ne pas le manger ! A quoi sert d'être instruit si ce n'est à songer A nous-mêmes , surtout quand la chose est facile, Comme à cet idiot , et n'en pas profiter ? C'est que le sot , d'un maître éprouve le servage ; A quel état abject nous réduit l'esclavage ! Dans son sauvage instinct de juger et de voir, En fait de liberté, comme en fait de devoir, C'est ainsi que pense et raisonne Un cœur égoïste, ou méchant ; En lui n'est qu'un seul sentiment, C'est de n'aimer que sa personne, Ne voir dans les moyens que la liberté donne, Que la facilité de nuire impunément.