Un Spectacle de Foire Jean Héré (1796 - 1865)

Du travail de son fils un père satisfait,
Voulut le régaler d'un spectacle de foire.
Les voilà donc partis, et je vous laisse à croire
Le bonheur de l'enfant. Quel plaisir en effet
D'entendre tout ce bruit et de voir cette foule
Qui s'agite et mugit comme une mer qui roule
Aux abords de la loge. Affublés d'oripeaux,
Les acteurs montés sur l'estrade
Qu'au dehors portent des tréteaux,
Donnaient alors une parade.
La foule répond par ses cris
A leurs bons mots, à leurs lazzis,
Usés jusqu'à la corde ainsi que leurs habits.
Au milieu d'eux voyez paillasse
Dont la perruque de filasse
Tombe en saule pleureur d'un chapeau tricornu.
Sur sa figure blême, à l'air trop ingénu,
Le malheureux berné par chacun à la ronde,
Reçoit de grands soufflets pour amuser le monde.

Une musique atroce, aux éclats discordants,
Qui porte sur les nerfs, qui fait grincer les dents,
Par d'affreux crescendo, devient toujours plus forte.

Mais, sans s'arrêter plus longtemps
Aux bagatelles de la porte,
On entre, l'on s'assied. Le spectacle annoncé
Au milieu des bravos a bientôt commencé.
On voit sur une corde raide
S'avancer un enfant sans balancier, sans aide.
Il tremble bien un peu d'abord, mais cependant
Il fait ses tours avec une grâce infinie,
Salue en souriant l'aimable compagnie,
Et parvient à son but sans le moindre accident.

Un jeune homme après lui sur la corde s'élance ;
Fait les tours les plus forts et les plus merveilleux.
D'abord, il danse et se balance,
Puis il fait le saut périlleux,
Le grand écart, la renommée.

Un autre représente un général d'armée,
S'avance fièrement agitant des drapeaux.

Un autre fait des tours d'adresse ;
Saute à la corde, passe à travers des cerceaux.

Un autre enfin sur cette corde dresse
Une table portant des mets ;
Puis il s'assied à cette table
Qu'il tient en équilibre instable,
Et dîne ainsi perché sans trébucher jamais.
Mais de tout ce qui l'environne
Ce qui le plus surprend, étonne
Notre enfant naïf spectateur,
C'est un fort habile jongleur.
Les boules que dans l'air incessamment il lance,
Après avoir décrit leurs courbes en cadence,
Retombent juste dans sa main
Pour recommencer leur chemin.

Un autre acteur, nouvel Alcide,
Porte ses compagnons montés en pyramide.

Le spectacle fini, l'enfant, joyeux, content,
S'en retourne tout en sautant.
Chemin faisant, il dit : C'est extraordinaire,
Et je ne comprends pas vraiment
Comment ces gens-là peuvent faire
Ces tours aussi facilement.
Je n'en ferais pas un sans me jeter par terre,
Sans me rompre le cou. -Mon fils, répond le père,
C'est dissicile assurément ;
Mais rien, comme tu vois, n'est impossible à l'homme.
Pour l'esprit c'est de même ; et souviens-toi qu'en somme,
Le travail et la volonté
Vainquent toute dissiculté.

Livre I, Fable 15




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