Le Cerf mourant et le jeune chasseur Bourgeois-Guillon (19è siècle)

Un cerf, depuis plusieurs printemps
Avait perdu sa compagne fidèle,
Tombée, ainsi que ses enfants,
Sous les coups redoublés d'une meute cruelle,
Sous ceux de l'homme, hélas ! bien plus cruel encor !...
Aussi, n'aspire-t-il qu'à s'attirer le sort
De sa malheureuse compagne.
Aussi, de bois en bois, de campagne en campagne,
S'offre-t-il aux chasseurs, provoque-t-il la mort.
Il est enfin chassé; soit amour de la vie,
Pour éprouver peut-être encore ce qu'il vaut,
Deux jours entiers, déjouant leur furie,
De Balthasar, de Rampon, de Briffaut,
Il a plus d'une fois mis' la meute en défaut.
De lassitude à la fin il succombe.
Sur le point d'être en proie aux chiens,
Se rappelant sans doute et sa femme et les siens,
De ses yeux une larme tombe.
Papa, papa, dit l'enfant dû seigneur,
N'écoutant que son jeune cœur,
Voyez, voyez donc comme il pleure !
Je ne veux pas, ne souffrez point qu'il meure ;
Ne souffrez pas qu'on lui fasse de mal :
Mais le cerf a déjà reçu le coup fatal.
Cette innocente et sensible prière,
Chez le malheureux animal
De ses pleurs concentrés ouvre, rompt la barrière :
Son âme y fondra tout entière.
Je meurs content, dit-il ; à travers ses sanglots
Remerciant l'enfant, en peu de mots,
Lui-même apaise ses alarmes.
D'un cœur voulant s'ouvrir à des épanchemens,
Un mot provoquera l'effusion ; des larmes
Qui s'échappent enfin, après de longs tourmens.
Inondent bientôt, par torrens,
Le sein de l'amitié. Combien ces sentimens
A l'âme soulagée offrent encor de charmes !

Livre I, Fable 3




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