Le Gondolier et le Sénateur Guillaume-Antoine Lemonnier (1721 - 1797)

Un gros gondolier de Venise
Voiturait dans sa barque un grave sénateur,
Le saluait tout bas et d'une voix sournoise
Répondait, bravo, Monseigneur,
Même quand Monseigneur disait une sottise.
Après plus d'une course, ils vont dans une église
Entendre le salut, Le souple gondolier
Devant Monseigneur passe vire,
S'en va l'attendre au bénitier,
Lui présente à genoux humblement l'eau-bénite ;
Puis se relève et fait sa prière débout.
On entend le salut, on l'entend jusqu'au bout ;
Puis on part, on s'embarque, à l'hôtel on arrive ;
Révérences encor » révérences toujours :
« Monseigneur veut-il qu'on le suive ?
« Qu'on lui donne le bras pour traverser les cours ? —
- » Prend ton argent et pars. — Le bon Seigneur ! !
- Écoute :
Je te trouve NES je me doute
Que tu n'es pas beaucoup dévot.
Tu me saluais jusqu'à terre,
Et devant le Dieu du tonnerre
Tu restais tout debout. Sais-tu bien, maître sot,
Que je lui dois moi-même obéissance, hommage ?
Sais-tu qu'un sénateur de lui n'est pas l'image ?
- Oui, Seigneur, je pourrais le saluer tout bas,
Mais je fais que de lui l'on ne se moque pas. »

Fable 7




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