Le Chat et la Souris blanche Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

Il ne faut à trop rude épreuve
Mettre les gens ; Raton en est la preuve.
C'était un chat savant, rempli d'instruction,
Miaulant avec art, sautant avec adresse ;
Joignant à l'éducation
Douceur, propreté, politesse,
Honnêteté, délicatesse ;
Enfin, une perfection.
Pourquoi, grands Dieux ! faut-il que je le dise !
Longtemps par le devoir l'instinct fut combattu,
Mais un moment de gourmandise
Démentit six ans de vertu.
Notre chat donc était et l'orgueil et la joie
D'un pauvre enfant de la Savaie,
Lequel habitait dans Paris,
Sous les combles, une chambrette,
Sombre, étroite et froide retraite,
Qu'occupaient avec lui son chat et sa souris,
Une gentille souris blanche ;
Tous deux du Savoyard étaient le gagne-pain :
Elle avait pour logis un coffre de sapin,
Assez mal couvert d'une planche.
Pour je ne sais quelle raison,
Il arriva que, dès la matinée,
Le maître s'absenta pour toute la journée,
Et le chat fut chargé de garder la maison :
« Mon cher Raton, » dit- il, « je confie à ta garde
Ce que j'ai de plus précieux.
Sois attentif, écoute bien, regarde ;
Il faut sur ma souris surtout avoir les yeux. »
En achevant sa phrase, il quitte sa demeure,
Sans avoir dit un mot du déjeuner,
Dont pourtant avait sonné l'heure.
Raton en faction demeure,
Et tout va bien jusqu'au dîner :
« Par mon maître oublié, faut-il donc que je meure
De besoin ? » dit alors notre chat enfermé.
Ma compagne pourtant est grasse et délicate :
Elle doit être exquise, et je suis affamé!
Tout ce logis est parfumé
D'une odeur de souris qui m'excite et me flatte :
Que je voudrais être enrhumé !
Mais je la sens, la vois, et je l'ai sous ma patte ! »
Le diable à son malheur sans doute concourut.
Le couvercle tomba, notre souris courut,
Et Raton, à l'instant, la faisant prisonnière,
Sous sa grifse la tint, pendant une heure entière.
On le conçoit, son désir s'en accrut ;
Bref, il devint si vif qu'à la fin il fallut
Que le chat en mourût d'envie,
Ou, sous sa dent, qu'elle perdit la vie.
Ce fut la souris qui mourut.

Le plus coupable, en cette circonstance,
N'est pas, à mon avis, l'auteur de l'attentat.
C'est plutôt le maître, je pense.
Il fallait, à la fin, que l'instinct l'emportât :
Laisser une souris à la garde d'un chat
Me semble une extrême imprudence.

Livre II, fable 7




Commentaires