Sous même toit, Médor logeait avec Raton ;
Tous deux se partageaient les faveurs de leur maître.
Médor, honnête chien, était fidèle et bon,
Et Raton, digne chat, était jaloux et traître.
Ce dernier, ne cherchant qu'à perdre son rival,
Voulut, sans s'exposer lui-même au moindre mal,
D'une bonne noirceur le rendre la victime,
Et résolut l'envoi d'une lettre anonyme.
Pour cela, d'une plume il ne fit point l'achat,
Sa patte lui suffit ; les chats savent écrire
(Vous savez le proverbe : écrire comme un chat),
Et, quoique griffonnant, on parvient à les lire.
Son billet portait donc : «Vous êtes prévenu
Par quelqu'un, qui de vous veut rester inconnu,
Qu'un caniche enragé, ce matin, de bonne heure,
Pénétrant en votre demeure,
Vint attaquer Médor ; Médor s'est défendu.
On ne peut affirmer qu'il ait été mordu ;
Mais, dans votre intérêt, on pense
Devoir vous informer de cette circonstance.
Soyez prudent, vous ferez bien,
Et pendant quelque temps surveillez votre chien. »
Le perfide billet parvient à son adresse
Au moment que Médor, quêtant une caresse,
S'approchait de son maître ; il en est repoussé.
Il veut lécher sa main ; avec effroi chassé,
On l'enchaîne aussitôt : Médor, dans l'esclavage,
S'attriste ; la tristesse est un fàcheux présage ;
Il en perd l'appétit, grave indice du mal ;
Enfin, notre pauvre animal,
Bien convaincu d'être atteint de la rage,
Du maître qu'il chérit reçoit le coup fatal.
Sire chat triomphait ; courte fut sa victoire :
« Raton n'aurait-il pas lui-même été touché
Par Médor, houspillé, léché ?
Dit le maître, aujourd'hui je ne l'ai pas vu boire.
Ne pas être prudent, ce serait un grand tort,
Dans une telle circonstance. »
Ce doute, en peu de temps, prit de la consistance ;
Deux jours après, au sombre bord
Raton avait rejoint Médor.
On se blesse souvent avec ses propres armes ;
La victoire au vainqueur coûte parfois des larmes,
Et l'on se perd soi-même, en perdant son prochain.
Quoi qu'il en soit, l'auteur d'une lettre anonyme
Devrait être l'objet d'un mépris unanime.
Nos bons aïeux disaient : C'est un fait de vilain
Que de jeter la pierre et de cacher la main.