Efflanqué, souffreteux, constamment enchaîné,
Médor dans son chenil hurlait comme un damné.
Quand près de lui chacun passe et repasse,
Tous à l'envi savent le fustiger ;
Mais aucun ne lui donne un seul os à ronger.
Pourquoi ? - C'est que Médor n'est pas de bonne race,
C'est qu'il n'a pas le poil assez fin, assez beau.
Le maître pour Azor réserve les caresses,
Les morceaux délicats, les soins, les gentillesses ;
Médor a les coups pour cadeau.
Le maître, armé d'un fouet, gagne un jour le tonneau
Où notre paria traîne son existence :
«Je m'en vais, lui dit-il, t'étriller d'importance,
Et payer dignement ton infernal sabbat."»
Disant ces mots, il le bat, il le bat,
Tant que son pauvre dos n'est plus qu'une blessure.
Mais de sa chaîne enfin Médor se délivrant,
S'élance au cou de son tyran,
Et lui fait à la face une large morsure.
Les domestiques accourant
Vont délivrer leur maître et saisir le coupable.
Chacun s'efforce alors d'inventer un tourment
Capable d'expier ce crime abominable.
« Il faut le fusiller, dit quelqu'un... - Doucement !
Il faut l'écorcher vif... - Non pas il faut le pendre... »
C'est un bruit à ne plus s'entendre.
Mais un voisin leur dit : « Amis, assurément,
Vous auriez évité ce triste événement,
Si vous aviez voulu, du Chien brisant la chaîne,
Lui ménager un meilleur sort.
Or, maintenant, quelque genre de mort
Que lui prépare votre haine,
Je soutiendrai toujours que seuls vous avez tort ;
Car vous pouviez en faire un serviteur fidèle,
Et vous n'en avez fait qu'un esclave insoumis. »

Chez nous un crime est-il commis,
Tous nos législateurs, se piquant d'un beau zèle,
Forgent cent lois pour le punir :
Que font-ils pour le prévenir ?...

Livre II, Fable 19




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