Le Chien et le Chat Étienne Azéma (1776 - 1851)

Soit caprice ou dégoût peut-être,
Un matou s'ennuyait de loger au grenier.
Le drôle eût préféré l'office ou le foyer.
Mais il n'en était pas le maître.
— Le sot emploi, dit-il, qu'on me donne au logis !
Je vis ici comme un ermite,
Mangeant par-ci, par-là, quelques maigres souris ;
Et dans un galetas j'enfouis mon mérite.
Que ne me donne-t-on la charge de Médor ?
Il ronfle à l'aise ; et quand il veille
De ses longs aboiements il nous brise l'oreille.
S'il savait miauler encor !
— Minet, reprit le Chien, vous avez bonne grâce
D'envier mes grandeurs. Eh bien ! changeons d'état.
Je suis las aussi de ma place.
Soyez Chien, moi je serai Chat.
L'échange est accepté. Minet se précipite
Dans la cour, et Médor au grenier prend son gîte.
Les rats trottaient, rongeaient, allaient, venaient,
Et Médor bâille, ou Médor rêve.
Ces égrillards s'imaginaient
Qu'on était, ce jour-là, convenu d'une trêve.
Le Chat, qui les guettait d'en bas,
Entend ce bruit. Il n'y tient pas,
Il monte ; à droite, à gauche, étend soudain la patte,
Les tient tous assiégés, leur barre les chemins,
Et les tue à plaisir, comme fit Mithridatc
De cent mille soldats Romains
— Vous chassez sur mon territoire,
Cria le Chien. De notre accord
Avez-vous perdu la mémoire ?
— C'est juste, dit le Chat, j'ai tort.
Il retourne à son poste ; et voilà qu'à la porte
Quelqu'un vient frapper à grands coups.
Le Chien part aussitôt, le naturel l'emporte.
Il court, il jappe, il mord. — Tout doux,
Dît le Chat s'éveillant, vous trichez, camarade :
J'étais au seuil en embuscade ;
Et je pouvais, je crois, fonctionner sans vous.
Médor d'un moment de folie
Tout à coup revenu : — J'étais un sot, dit-il,
Pour un méchant grenier de troquer mon chenil,
A chacun son instinct et son lot dans la vie.
Le vôtre est de chasser le rat ;
Le mien de veiller et de mordre.
N'allons donc pas changer cet ordre ;
Et gardons chacun notre état.

Livre III, Fable 2




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