Près de quitter le caravansérail,
Un Chamelier chargeait sa bête,
Qui, les genoux pliés, recevait, par détail,
Son fardeau, qu'à la fin elle tint pour honnête.
Maître, dit humblement le Chameau, c'est assez ;
Croyez-moi, mon bon maître, et par pitié cessez :
Je n'en saurais supporter davantage...
Quel est ce fainéant ? manque- t-il de courage ?
Lui répond l'homme encor ce ballot que voilà!
Quoi, pour si peu qu'on l'hypothèque,
Pour si peu que, chargé fût-il même au delà,
Je porterais le tout, moi, du Caire à la Mecque,
Rompre la tête aux gens ! Vit- on jamais cela ?
Rustre, deux pour ta peine. -Ah ! j'en mourrai, vous dis-je:
Otez-moi, mon cher maître, au moins ce dernier-là . -
Te tairas-tu , maraud ? Vraiment, c'est un prodige :
Il est bossu, je crois , et de corps et d'esprit.
Va, va, pour te punir, ô bête veule et lâche,
Vrai propre à rien par Mahomet maudit,
C'est moi qui sur ton dos compléterai la tâche.
Lors, du poids de son corps rengrégeant le fardeau,
L'insensé d'un bâton frappe notre Chameau,
Aux reins, aux flancs, partout, afin qu'il se relève.
Et le pauvre animal, tout couvert de sueur,
Frémit, écume, entre en fureur,
Tâche de concentrer sa sève,
Y parvient, se redresse, et, par le même effort,
Contre un mur fait bondir son maître,
Qui s'y brise le crâne, et tombe roide mort :
Juste colère ! Et, pourtant, cruel sort !
Mais, cet homme l'avait par trop cherché peut-être !
Or, pour conclure : Avis aux Rois !
Je veux montrer, par cette fable,
Qu'il ne leur faut jamais abuser de leurs droits :
Le Peuple est patient ; mais, contre qui l'accable,
S'il se roidit un jour, malheur à ses Tyrans!
C'est l'histoire de tous les temps.