Ah ! que les dieux ne sont guère équitables!
Et le dervis les proclame adorables
C'est à n'y plus tenir :
A de telles erreurs je ne puis applaudir ;
Car n'ai-je pas des raisons légitimes
De me plaindre du destin?
Ai-je commis forfaits ou crimes?
Suis-je un voleur, un assassin?
Eh non, j'ai cœur sensible et tendre :
J'aime et je suis aimé,
Et chez les miens heureusement famé.
Je ne saurais comprendre
Les motifs de mes malheurs.
Après avoir longtemps végété sous la terre,
A force de douleurs
Je me libéra
D'une enveloppe grossière
Pour prendre quoi ? Des couleurs
Vives, rares, brillantes,
Robe et cuirasse saillantes
Comme mille insectes divers
Qui folâtrent par les airs ?
Hélas! non; mais un corsage
Brun, sans éclat. Mon image,
Que me rend le miroir de l'eau,
M'arrache des larmes brûlantes,
Et je fuis les bords du ruisseau
Pour me blottir en quelques fentes.
Si, le matin,
La rose
A peine éclose
M'invite à joyeux festin;
Si la feuille parfumée
M'offre une couche embaumée ,
Je soupire ; et du destin
Entrevoyant la barbarie
Qui n'a semé fleurs sous mes pas
Que pour hâter mon trépas,
Je tombe en noire rêverie ;
Car je sens de la vie
Le souffle s'évanouir..,.
A peine né je vais mourir !
A mes chagrins je succombe
Allons creuser ma tombe...
Mais que mon dernier mot, lancé contre les cieux,
Soit un trait que j'adresse aux dieux :
Que sur mon tombeau je grave
Le souvenir de mes douleurs,
La juste plainte d'un esclave
Courbé sous le poids des malheurs.....
Ainsi se lamentait.... Un tigre ? Une panthère?
Un aigle? un vautour? un lion?
Non :
J'espère
Qu'ils ne sont pas s! sots; c'était un hanneton.
— Ah ! ma foi, c'est trop fort. — Pourquoi, je vous demande,
Ridiculiser les pleurs,
Les plaintes, les douleurs,
Et cette verte réprimande
Que l'insecte, en son courroux,
Jette au ciel? Dites-nous
Ce que vous êtes. Avez-vous
Plaisirs que donne la fortune ?
Une aisance peu commune ?
Une épouse et des amis ?
— J'ai tous ces biens. — Vous êtes donc soumis
A la volonté divine?
Rien donc ne vous chagrine?
Ici bas tout est pour le mieux.
— Un instant} arrêtez : je voudrais que les dieux,
En augmentant mes richesses,
En multipliant mes espèces,
M'accordassent le rang
Que les préjugés, la routine,
Et le hasard et l'origine
N'ont donné qu'à noble sang.
— Insensé! que veux-tu ? de nouvelles alarmes
Sur tes chars fais graver tes armes;
Mais la mort,
(Ce mot seul excite tes larmes!)
Traversera ton sort.
N'as-tu pas ce que la nature
Quelquefois rigide et dure,
Refuse à maintes gens
Dont la voix importune et riches et puissans?
Eux, toutefois, fatigués de la vie,
Souvent portent envie
Le dirai-je? aux indigens,
Aux pauvres dont les jouissances
Bien rares, il est vrai, sont douces allégeances
De leurs soucis,
Et font renaître les ris.
Sur l'un et l'autre hémisphère
Vous n'entendez que plainte amère
Contre les dieux !
C'est le roi de la nature,
C'est le fils de l'Amour, l'ange venu des cicux,
L'homme qui murmure
Contre eux !!!
Lui-même a fait sa servitude
Et son cœur pervers
Se saturant d'ingratitude,
Ose outrager le Dieu de l'univers !!!