Un petit-fils du docteur Sangrado
Avait favorisé la France
En important sa science
Et son ignorance
Qu'il prouvait en baroco.
Dans un énorme in-quarto
11 drapait nouvelle méthode
Toujours à la mode
Chez les Français;
Le bon docteur en fut bien longtemps pour ses frais.
Un jour, charmante veuve
( Joli minois aime à changer),
Voulut faire l'épreuve
Des talents de l'étranger.
Ne sais par quel coup de fortune
Au scalpel la belle brune
Put s'exposer sans danger.
Tant il est vrai que seule la nature
Fait excellente cure;
Peut-être pour protéger
Les en/ans d'Esculape.....
Le docteur fut nommé le médecin du pape.
C'était un beau brevet!
Point n'est besoin de dire
Et l'arrogance et le caquet
Du sire.
En vérité j'admire
Le pouvoir et l'effet
Du verbiage ;
Et plus encor du patronage
D'un prince ou potentat
Qui gouverne un lointain Etat.
Le savoir et la logique,
La théorie et la pratique,
Langage pur et technique.
Mais avant tout véridique,
Signature académique,
Tout l'attirail de la clinique
N'amèneront jamais chalands
Ou clients
Comme un brevet d'ignorance
En France.
Dispensez moi, cher lecteur,
De vous présenter la liste
Des trépas, œuvre du docteur.
Il existe
Chez le fossoyeur,
Garçon d'honneur,
Et do plus canoniste,
Un volume in-folio
Chargé des noms que petit Sangrado
Y consigna : précieux mémento
Des exploits de sa science.
On prétendit qu'avec les marguilliers,
Moyennant sous et deniers,
Notre homme avait fait alliance.
Mon Dieu ! toujours on médira !
Ce fut enfin heureuse année
Pour gens d'église et calera.
Une mouche basanée,
Livide, et n'en pouvant plus,
Ayant tous les membres perdus,
Par médecins abandonnée,
Lors vint trouver docteur de la .saignée.
— Qu'avez-vous? par quel mal
Votre santé prospère
S'affaiblit et s'altère?
Est-ce festin, ou bal.
Autre forte jouissance
Dont la maligne influence
A pour vous terme fatal ?
— Non, monsieur; la famine
M'use et me mine:
Depuis tantôt six mois,
Je suis aux abois.
Les plus jolis visages,
Jeunes et vieux, de tous les âges,
Ont perdu roses et lis;
Et dans chaque logis,
A la cour, à la chaumière,
Je ne rencontre que bière,
Et n'entends que de profundis.
Je trouve partout des entraves;
Sur des corps livides, baves,
Je ne puis assouvir ma faim ;
Je meurs enfin,
Si vous ne venez à mon aide.
Je connais le remède
Qui pourrait me guérir ;
Veuillez donc me secourir.
— Par la saignée et la diète...
Eh non; je vous l'ai dit : puisque de la disette
Je ressens pénibles effets,
Je veux sur votre large face
Trouver panacée efficace ;
Onc n'oublierai vos bienfaits.
— Sortez d'ici, madame l'insolente!
— Vous m'appelez arrogante!
Tout beau, maître docteur!
Certificat: de procureur
Me donne puissance
Et droit de vengeance
Sur votre peau:
Et les familles
Des mères et des filles
Qui, par vos soins, sont au tombeau,
M'envoient ici ; je vous proclame
Leur assassin ;
Et je réclame
Ma part du butin.
Et n'est-ce pas justice
Qu'à moi, votre sœur,
(Je saigne aussi) do votre bénéfice
Vous donniez, docteur,
Après celte bataille,
Une honorable part ?
— Vous arrivez trop tard.
Pour moi seul je travaille;
Et si j'entaille
A tort, puis à travers,
Je ne crains pas les revers.
Au nom d'Hippocrate
Et de la docte Faculté,
J'ôte ou donne la santé...
Toute plaignante est ingrate.
Ailes, ou bien je vais Vous saigner à la patte.

Aujourd'hui que du médecin
L'ignorance
Ne désole plus la France
(Et j'en rends grâce au destin),
Lecteur, disons : Vive la médecine,
Et, s'il le faut, la doctrine
De Tabarin !
Ce sont chose et gens nécessaires...
Pour leurs avis et pour leurs vulnéraires
Remettons toujours à demain.

Livre I, fable 10




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