J'ai lu chez un vieux chroniqueur,
Qu'autrefois certain seigneur,
Ayant élevé par centaine,
Châteaux forts en son domaine,
Prétendit que les maçons
N'en auraient maille, et paieraient ses donjons:
Il leur retint donc leur salaire.
C'était au temps du pouvoir arbitraire...
C'est dégoûtant !
Non loin de cet avare, oui, dans son voisinage,
Un malotru de son lignage
Gentilhomme pourtant,
Tirait une autre corde.
Mon conte, vous verrez, est digne de l'exordec.
Le bon seigneur ayant toujours en main
Un barème,
Comptait, comptait, comptait; il en devenait blême.
N'ayant jamais le cœur du bon Samaritain,
Il grugeait ses fermiers, après faisait leur vente;
Prêtait au denier cinquante,
Puis empruntait gratis et ne rendait jamais,
Son cuisinier et deux de ses laquais
Furent jetés à la porte,
La veille du premier de l'an,
Pour cause..,. Ces gaillards ont mine d'un forban,
Disait-il; et je crains que maître Jean n'emporte
Mes cuillers : les laquais, autres objets menus
Il les rappelle et les fouille,
Les refouille et les dépouille,
Puis les éconduit tout nus.
Il chantait encor celte antienne
Lorsqu'il voit arriver monsieur son intendant,
« Vous venez à propos : ça, par quel accident
Mes lapins ont-ils donc déserté ma garenne ?
Je n'en vois plus figurer au budget
De la dépense ou bien de mes recettes;
Rien dans ma bourse et rien sur mes assiettes;
J'en veux connaître le sujet.
— Seigneur, à vos ordres fidèle,
De vos lapins j'ai vendu la séquelle :
Ils dévoraient vos sainfoins et vos plans,...
C'est vieux, seigneur. — Combien? — Sept ans.
Alors de ce marché je vous remis la somme.
— Maître Gorgu, c'est faux!
— Vous savez, monseigneur, si je suis honnête homme...
— Chanson que tout cela, que devinrent les peaux?
— Pour vos fils et pour vous on en fit des chapeaux*
Rappelez-vous, je vous conjure,
Que de vos habits la fourrure
N'est pas de petit gris; mais de poil de lapin.
Cent peaux font le tapis de votre baldaquin. »
C'était clair ; et notre avare
Le voit bien : mais il déclare
Que ses vassaux, sans plus tarder,
Vont de gibier repeupler ses domaines,
Ses bois-taillis, ses clos, ses plaines.
Mons l'intendant promet de le bien seconder.
Le faible a contre lui Lucifer et le ladre,
Sans oublier messieurs les intendants.
Quand pourra-t-il enfin échapper à l'escadre
De ces forbans ?